Tout bonheur commence par un déjeuner tranquille. ღ Haddy

C’était une journée bien banale au musée aujourd’hui. Quelques groupes scolaires, des personnes plus âgées à la retraite, quelques touristes, pas de quoi paniquer, mais pas de quoi rendre la journée palpitante non plus. Certains de mes collègues trouvaient que c’était une bonne raison de se plaindre, pas moi. Personnellement, ce genre de journée ne me dérangeait pas. Au contraire, c’était une situation pendant laquelle je pouvais rester calme, sans angoisser pour qui ou quoi que ce soit. Et pour tout dire, c’était exactement ce dont j’avais besoin en ce moment, d’où le fait que j’avais choisi de faire cet emploi. Ça et parce que je n’avais pas perdu ma capacité d’être alerte en cas de besoin. Mais ne pas devoir presque me mettre entre les ossements de dinosaures exposés et les gens de crainte que quelqu’un les fasse tomber, ça m’arrangeait. Rester dans mon coin, regarder ce qui se passait, avertir une personne çà et là, c’était synonyme d’une journée de travail idéale pour moi. Je ne demandais pas plus complexe. Je n’avais pas besoin de défi supplémentaire. J’avais juste besoin de me poser, de reprendre le contrôle de ma vie, de sorte à être un bon mari, un bon père pour Freddie, et pour notre enfant qui allait naître dans environ un mois, un mois qui me semblait à la fois interminable et beaucoup trop court. Interminable parce que maintenant, j’acceptais l’idée d’être père de nouveau, même que le fait d’avoir une seconde chance d’être présent pour Hazel était pour moi une chance inestimable. Trop court parce que j’avais l’impression que ça pourrait arriver à tout moment. D’ailleurs, c’était ce qui m’avait poussé à apprendre à utiliser un téléphone portable de nouveau. J’avais regretté bien longtemps ce vieux téléphone que j’avais avant ma dernière mission pour l’armée, mais je me disais que c’était nécessaire, pour que je sois auprès de ma femme si jamais elle venait à commencer le travail alors que j’étais en service. Mais pour le moment, rien. Pas d’appel, pas de message. C’était une bonne chose, puisque cela signifiait qu’il n’y avait pas d’urgence, mais je n’allais pas le nier, Hazel me manquait pendant mes journées. Je savais que je devais garder ce travail, fournir un revenu pour notre famille, me reprendre pleinement en main, mais il me tardait d’avoir ma pause pour pouvoir l’appeler, juste pour entendre sa voix, ne serait-ce que quelques minutes. Apparemment perdu dans mes pensées, ou trop occupé à regarder l’horloge, guettant l’heure à laquelle je pourrais prendre ma pause déjeuner - d’ici un instant en fait, j’attendais juste de voir la personne qui allait me relayer - je ne vis pas la personne qui comptait le plus au monde pour moi jusqu’à ce qu’elle soit tout près de moi, à ma hauteur. En fait, je réagis à temps pour répondre à son baiser furtivement, oubliant pendant un instant mon lieu de travail, mon uniforme qui montrait que j’étais en service. Après lui avoir répondu d’un petit  « Salut toi… », je voulus lui demander ce qui l’amenait ici, un peu inquiet, mais plus ravi qu’autre chose. Mais avant que je dise quoi que ce soit, elle reprit la parole, venant me faire une proposition que je ne pouvais pas refuser. Sourire aux lèvres, je dis:  « Avec plaisir, ma chérie. » Regardant autour, j’allais dire:  « Je dois juste… » me faire remplacer, mais au final, mon collègue approcha. Je le saluai d’un signe de tête, et je pris la main de ma dulcinée, lui disant:  « Je suis tout à toi. Tu veux aller où ? » Moi je n’avais pas de préférence, surtout que l’important était d’être avec elle, comme je lui prouvai en disant:  « C’est une belle surprise que tu m’as fait là. » avec sincérité. Après tout, à ce stade de sa grossesse, elle aurait pu vouloir rester à la maison et c’était parfaitement légitime, mais il fallait croire que non, et elle avait choisi de venir me voir, ce qui n’aurait pas su me faire plus plaisir.

Après maintenant quelques mois à travailler dans ces lieux, je commençais à connaître un peu les environs. Majoritairement parce que certains touristes me demandaient quel chemin emprunter pour aller à un endroit ou un autre, tout particulièrement lorsque j’étais posté à l’entrée du musée. J’avais donc dû m’y faire et me familiariser avec les environs, mais je n’étais pas du genre à traîner autour non plus. Lorsque j’avais terminé ma journée, je préférais de loin rentrer chez moi pour retrouver ma femme et mon fils. Ça pouvait sembler peu excitant et coincé, mais après avoir cru pendant maintes années que je ne les reverrais plus jamais, il n’y avait pas d’autre endroit au monde où je voudrais être qu’avec eux, aussi souvent et longtemps que je le pouvais. Mais du coup, il était évident que je n’étais pas une référence pour venir en aide à Hazel afin de trouver un endroit où aller manger. J’aurais pu abandonner et lui dire que je ne savais pas et que nous allions trouver ensemble, mais je ne voulais pas la décevoir, déjà qu’elle avait eu la bonté - et le courage, au vu de l’état avancé de sa grossesse - de se déplacer pour passer me voir à ma pause. Glissant mes doigts entre les siens pour les entrelacer, je réfléchis pendant un instant, essayant de trouver une idée un peu plus originale que la cantine du musée - même si les plats, étonnamment, n’étaient pas mauvais du tout ! Mais au final, je me retrouvai plutôt à commenter le fait qu’elle était passée me voir, parce que j’en avais envie, aussi parce que ça me faisait gagner un peu de temps dans ma réflexion. Cela ne m’empêcha pas d’être concentré sur la réponse de mon épouse, hochant la tête pour confirmer que oui, c’était une belle surprise, souriant quand elle me dit pourquoi elle était venue. Était-ce une blague, ou disait-elle la vérité ? Je m’en moquais, je trouvais ça simplement trop adorable. D’ailleurs, je ne pus m’empêcher de lui répondre:  « Tu me manquais aussi. » Et me concernant, c’était vrai. Si ce n’était que de moi, au vu de tout le temps que j’avais perdu auprès de ma famille, je serais avec eux constamment, mais ce ne serait pas malsain, et indigne d’un bon mari et d’un bon père. Il fallait que j’aie une vie stable, et que je sois capable de subvenir aux besoins de ma famille aussi, surtout que maintenant, j’étais le seul à travailler. Pour une bonne cause, certes, mais j’en demeurais quand même conscient. Après avoir marqué une petite pause, alors que nous approchions de la sortie du musée, je finis par proposer:  « Il y a un petit restaurant pas très loin qui fait de bons repas, si tu veux. » N’étant pas difficile, je préférais qu’elle ait le dernier mot sur la question. Après tout, ce n’était pas moi qui était aux prises avec les rages et envies particulières, et je savais que j’allais trouver de quoi être satisfait, qu’importe ce qu’on faisait, que ce soit au restaurant ou bien en mangeant un bretzel d’un vendeur ambulant, comme il y en avait toujours dans les environs.

Mes goûts alimentaires n’avaient jamais été bien difficiles et c’était encore plus vrai aujourd’hui. Après tout, ce n’était pas comme si j’avais eu droit à des plats de grande gastronomie ces dernières années, d’abord au front, puis pendant cette période où j’avais été enlevé. En fait, pendant ce temps, c’était une chance de simplement manger quelque chose, le minimum pour me garder en vie. Il était évident qu’après ça, j’appréciais plus les petites choses, mais ce que j’appréciais par-dessus tout, c’était passer du temps avec ma femme, que je ne pensais pas revoir, avec qui je ne pensais pas retrouver ma vie d’avant. Chaque jour, je me montrais reconnaissant de l’avoir, qu’elle ne soit pas allée voir ailleurs alors qu’elle aurait très bien pu après tout ce temps, sans que je puisse lui en vouloir de quelconque façon. Et au quotidien, je voulais la rendre heureuse à mon tour, et si ça passait par un restaurant qui pourrait lui plaire, en mon sens, c’était la moindre des choses. Ravi de voir que mon idée lui convenait, je lui répondis:  « Allons-y alors. » avec un petit sourire. Peu de temps après, nous arrivâmes à la sortie du musée. Je saluai mon collègue qui gardait l’entrée d’un signe de tête, avant de pousser la porte, laissant mon épouse passer la première avant de retourner à sa hauteur. Maintenant que nous étions à l’extérieur, je me permis de ralentir un peu le pas pour prendre le temps de l’embrasser sur la joue, un petit instant. Jamais je n’avais été démonstratif comme ça, mais je ressentais le besoin de lui montrer, au-delà des mots, que j’appréciais le fait qu’elle était venue me retrouver. C’était un geste simple, bien discret pour la majorité des gens, mais pour moi, c’était un progrès. Progrès que je devais à ce psychologue qui me suivait et qui m’avait suggéré d’essayer d’être un peu plus attentionné de cette façon. Au début, je ne savais pas comment m’y prendre, puisque ça ne m’avait jamais ressemblé, mais Hazel ne me l’avait jamais reproché. Sauf que les choses n’étaient pas comme avant, je ne voulais pas qu’elles soient comme avant, pas complètement en tout cas. Je voulais garder ce que j’avais à mon épouse, mais embrasser autant que possible cette seconde chance que j’avais avec elle, d’être un bon mari, et un bon père, tant pour Freddie que pour cet enfant qui allait naître prochainement.  « C'est juste de l’autre côté du parc. » J’avais tenté de me faire rassurant sur la distance à parcourir, distance qui n’était pas bien longue en mon sens, mais j’espérais qu’elle ne le soit pas pour mon épouse non plus. Ayant toutefois le temps d’entretenir la discussion, je lui demandai:  « Comment tu vas ? Tout va bien à la maison ? » C’était une question bien banale mais qui, dans la situation présente, voulait demander bien plus. Comment elle se sentait ? Est-ce que le fait de ne pas travailler lui pesait ? Mine de rien, cela m’inquiétait, parce que je voulais que tout se passe pour le mieux, et clairement, si elle ne se sentait pas en forme ou quoi que ce soit, je n’allais pas hésiter à prendre le reste de ma journée de congé pour être avec elle. Mes supérieurs savaient très bien ma situation, et qu’importe, elle resterait toujours ma priorité.

Je souris doucement au commentaire de mon épouse, sans ajouter quoi que ce soit. Je ne pouvais pas dire que je comprenais totalement sa situation, parce que ce n’était juste pas possible, mais j’étais capable de me montrer patient et marcher plus lentement, ce n’était pas un problème. En fait, c’était la moindre des choses de me montrer compréhensif. Ne pas le faire serait tout simplement gratuit et complètement idiot. Et finalement, comme si je voulais le lui prouver, même si je n’avais pas prévu d’ajouter quoi que ce soit, je dis:  « On peut prendre tout le temps que tu veux ma chérie. » Évidemment, je n’étais pas sans savoir que mon temps de pause pour manger était limité, mais il était considérable, alors je ne pensais pas que j’allais devoir me stresser. Je n’avais pas envie de me stresser pour retourner au travail. Non pas que je me moquais de mon emploi, au contraire, je l’appréciais beaucoup et j’étais content d’avoir trouvé quelque chose de stable qui me correspondait. Mais ma priorité était et resterait toujours ma femme, notre fils et notre petite fille à venir. J’avais tenté de revenir sur mes pieds par moi-même avant de la retrouver, mais c’était elle qui m’avait sauvé la vie au final, depuis le début. C’était donc pour moi la moindre des choses d’essayer d’être le plus présent possible pour elle, même quand ce n’était pas si évident, même si ce n’était qu’en lui demandant comment elle allait, comment sa journée se passait. Naturellement, je n’étais pas ravi de savoir qu’elle s’ennuyait seule à la maison. C’était attendu, mais ce n’était pas agréable à apprendre pour autant. Dans ces moments, j’aimerais lui dire que j’allais mettre fin à ma journée, passer du temps avec elle, mais je ne pouvais pas. Et en ce moment, ça me brisait le coeur. Je pouvais me consoler en me disant que nous allions avoir tout mon temps de déjeuner ensemble, mais quand je l’entendais me dire quelque chose comme ça, ça ne me semblait pas suffisant. Faible, je lui dis:  « Tu me manques aussi… » Après, ça, ce n’était pas une surprise. J’avais passé tant de temps loin d’elle, sans savoir si je pourrais la revoir et revoir notre fils un jour, que chaque moment où je n’étais pas avec elle me semblait être un moment perdu. Il fallait que je sois raisonnable, et je pouvais passer outre ce sentiment au quotidien désormais, mais il n’en demeurait pas moins que c’était la réalité. Heureusement, ç’allait changer prochainement, comme j’aurais voulu lui dire, mais je ne le fis pas, pas pour le moment. Pourquoi ? Tout simplement parce que mon épouse m’avait retourné ma question, l’adaptant à ma situation, qui était une journée au travail. Jugeant que c’était plus poli de lui répondre, je dis:  « Oui ça va. C’est plutôt tranquille. » Et c’était bien comme ça. Moins de possibilités de contrevenants, de personnes à avertir. Certains pourraient dire trouver le temps long, mais personnellement, je ne m’en plaignais pas. Ne me voyant pas ajouter quoi que ce soit à ce sujet, je revins sur ce qui me brûlait les lèvres, et je dis:  « J’ai discuté avec mon chef, pour savoir ce à quoi j’avais droit pour mon congé paternité… » Évidemment que j’aurais voulu continuer, mais nous étions arrivés au dit restaurant. Ç’allait attendre, un petit instant. Prenant légèrement les devants, j’ouvris la porte, et je dis à ma femme:  « Après toi. » afin qu’elle puisse entrer avant moi. J’espérais juste ensuite que nous n’aurions pas de mal à avoir une table, parce que je ne voulais pas qu’elle reste debout trop longtemps, mais de ce que je voyais, ça ne semblait pas trop bondé.