Allez viens boire un p'tit coup à la maison | ft. Olivia ♥

J’étais agacée. Enormément agacée. Pinceau en main, j’étalais de la peinture noire sur la toile encore blanche. Vraiment beaucoup trop de peinture noire. Une touche de rouge, couleur sang. On sentait beaucoup de colère sur la toile qui commençait à s’assombrir. S’assombrir comme mon visage. Je commençais finalement à me rendre compte qu’il passait à autre chose, tournait la page plus vite que moi. Ça m’agaçait. J’avais toujours été celui de nous deux à passer plus rapidement à autre chose, penser à l’avenir sans vraiment regarder le passé ; alors pourquoi est-ce que ça me touchait autant ? Nous étions pourtant séparés depuis plus d’un an. J’aurais dû refaire ma vie comme lui, probablement. J’avais pourtant eu l’occasion. Plusieurs hommes m’avaient courtisé durant cette période. Mais moi, je n’avais même pas envisagé ne serait-ce qu’un quart de seconde pouvoir me construire une nouvelle vie avec eux. Ils étaient trop jeunes, trop moches (ouais mais dans le noir ça ne se voit pas, voyez), trop mariés (ouais, ça craint, pour eux comme pour moi), ou encore trop pas comme Jake, tout simplement. Je me frottais le fond d’un coup de poignet. Jamais j’aurais dû faire ça. Surtout avec la main qui tenait le pinceau. Résultat : trace de peinture sur le front, ajouté à cela de la peinture rouge dans les cheveux. Impeccable. Je ne m’arrêtais pas pour autant, de peur de perdre tout mon entrain pour cette toile qui ne sera jamais exposé au National Gallery of Art. Beaucoup trop brouillon. C’était toujours trop brouillon quand j’étais énervée, je bâclais tout. Comme j’avais certainement bâcler mon mariage sur les dernières années de celui-ci. « Eh merde ! » venais-je crier, venant de faire la pire des bavures sur mon pseudo chef-d’œuvre. Je penchais lentement la tête à droite, puis à gauche, puis me recentrais. En fait, ce n’était pas trop mal. Ça ajoutait du cachet au tableau. C’est presque que j’allais commencer à aimer mon horreur.

Mon téléphone sonnait. Jimy. Je décrochais et mettait en haut-parleur pour avoir les mains libres. L’art ne s’arrête jamais, et surtout pas pour un coup de fil. « Alors, je te manque déjà ? » lui demandais-je alors que je l’avais amené chez son père juste quelques heures plus tôt. « Non, j’ai oublié mon chargeur de portable, tu peux le ramener avant d’aller chez tata, s’il te plait ? » me demandait-il, me laissant prendre un air désappointé. J’avais complètement zappé de repas chez Olivia. Shit. Je faisais genre de rien. « Mais tu ne peux pas prendre celui de ton père ? » proposais-je, m’évitant potentiellement de faire un petit détour ; comme ce n’était bien sûr pas la même route. « Non, ce n’est pas le même embout... » répondait-il d’une petite voix, histoire de m’amadouer. Il savait que je craquerais forcément. « Ouais ouaaais, j’te ramène ça tout à l’heure. » cédais-je avant que celui-ci ne raccroche après avoir quand même pris le temps de me remercier. Quelle tête en l’air celui-là. Je savais de qui il tenait. Moi. Tellement que j’avais fait la même chose en oubliant que je devais dîner chez Olivia ce soir. Merde, j’étais pas du tout prête. Je me penchais en arrière de façon à pouvoir lire la grande horloge dans la cuisine, au loin. Ok, j’avais encore un peu de temps. Enfin, seulement si je lâchais mon gribouillage. « Toi et moi, on en a pas fini ! » annonçais-je à la peinture inachevée en lui faisant signe que je l’aie à l’œil. Elle n’a rien répondu. Trouillarde.

Une quarantaine de minutes plus tard, j’étais prête. Chargeur en main. J’avais déjà un peu de retard, mais Olivia devait se douter que je ne serais pas à l’heure. Elle a l’habitude. Sinon, j’aurais dû me ramener chez elle pas douchée, pas coiffée, sans même avoir d’écurer mes oreilles et avoir mis du déodorant. Je ne pouvais quand même pas faire subir ça à Julian. Voyons. Il devait avoir la tante la plus fraîche du monde ! Olivia, elle, vu tous les états dans lesquels elle m’avait déjà vu, ça n’aurait été rien à côté. Je mettais Titine en route, et je filais direction chez Jake pour ramener le chargeur de Jimy. J’abrégeais les courtoisies en arrivant chez mon ex-mari. « Je suis désolée, je passe en coup de vent pour ramener le chargeur de Jimy. Je file déjà, je suis en retard, je dîne chez Olivia et Liam. » disais-je à Jake, alors qu’il en avait certainement rien à carrer. D’autant plus quand j’entendais le rire de l’autre pouf au loin dans la maison. Génial, elle est encore là elle. Elle habite ici ou quoi ? Mon fils rigole avec l’ennemi. Le traitre. Puis rebelote, retour dans Titine. Direction la maison des Scott. J’arrivais, toujours aussi fraîche qu’à mon départ, chez ma sœur. J’aurais pu frapper, c’est vrai. Mais la sans gêne que j’étais était rentrée comme si c’était chez elle. « Alors il est où mon neveu le plus beau du monde que je vais croquer tout entier ? » hurlais-je à plein poumon en claquant la porte derrière moi d’excitation.