I'm looking for my mother •• Marnie

Marnie Spellman. Marnie Spellman. Un nom qui tourne en boucle dans la tête de Maeva depuis qu’elle sait qu’il s’agit de l’identité de sa mère. Ainsi donc, c’est elle qui l’a abandonné à la naissance. C’est cette femme qui a rejeté son enfant sans même lui témoigner le moindre intérêt. Comment peut-on faire ça ? Avec du recul, Mae aurait presque préféré ne jamais voir le jour. Pourquoi n’a-t-elle pas avorté ? Avec cette vie qu’elle a vécue, cette option aurait sans doute été préférable. La gamine s’est toujours demandé à quoi pouvait bien ressembler sa génitrice. Ont-elles des traits en commun ? Ont-elles la même crinière brune ? Le même sourire ? Les mêmes manies ? Si petite, ces questions envahissaient souvent son esprit, à l’heure actuelle, ce n’est plus vraiment ce genre de futilités qui l’intéresse. Non, parce qu’elle a grandi. Elle a évolué. Et elle a surtout morflé. A cause de qui ? A cause de Marnie Spellman.

Son premier réflexe a été de rechercher son nom sur internet. Peut-être tomberait-elle sur un profil facebook, instagram ou n’importe quel réseau social. Elle en a trouvé quelques unes mais rares sont celles qui pouvaient correspondre au profil. Elles étaient soit trop jeunes, soit bien trop vieilles. Sauf une. Une chanteuse lyrique. A première vue et au vu des photos trouvées, la ressemblance est inexistante. Sauf un trait qu’elles ont en commun. Le chant. Est-ce un don héréditaire ? Impossible à dire mais c’est une piste qu’elle compte bien exploiter. L’avantage d’ailleurs d’avoir une potentielle maman célèbre c’est qu’il est plutôt facile de retrouver sa trace. Ainsi, il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour constater qu’elle vivait elle aussi à Washington. Ça pour une coïncidence… N’est-ce pas presque trop facile ? Ou peut-être est-ce simplement une chance folle, pour une fois dans sa vie.

L’occasion étant trop belle, il lui a tout de même fallu plusieurs jours avant de trouver l’adresse exacte et de repérer la maison de sa mère potentielle. Des jours pendant lesquels elle a réfléchi à un plan d’attaque et à une stratégie pour l’approcher. Bonnet en laine sur la tête, veste un peu trop légère pour la température extérieure sur les épaules, elle déambule dans la rue, les mains dans les poches. Malheureusement pour elle, ses affaires sont extrêmement limitées et elle n’a pas le manteau nécessaire pour survivre à ce climat. Ça caille, mais tant pis. Son look est négligé, son pantalon a des trous et ses grosses bottines noires sont sales. Pas de gants mais un bandage autour de la main droite, résultat d’une bagarre quelques jours plus tôt. Décidée à passer à l’action, elle traverse la rue et observe la grande maison qui lui fait face. Clairement, ça change des taudis que Mae a l’habitude de squatter ou même des appartements de ses potes. Soupirant un grand coup pour se donner du courage, elle sort son téléphone portable déchargé de sa poche. D’un pas décidé, elle parcourt les quelques mètres qui la sépare de la porte et elle ne perd pas une seconde pour appuyer sur la sonnette. L’heure de vérité. Plus que quelques secondes – minutes ?

Lorsque la porte s’ouvre et qu’une femme apparait dans l’entrebâillement, Maeva retient son souffle. Ses prunelles se posent sur cette silhouette et son cœur se serre violemment. Elle doit lutter et se faire violence pour contrôler ses réactions et ses émotions. Elle se racle la gorge avant d’ouvrir la bouche. « Bonjour, pardon de vous déranger. Je viens de débarquer en ville, et tout est tellement grand que je me suis perdue. Je devais retrouver une amie dans un café mais j’ai complètement oublié le nom. Et en plus mon portable n’a plus de batterie alors je ne peux pas la contacter. » Elle agite son téléphone sous son nez pour lui montrer et la moue triste qui s’affiche sur son visage témoigne de la peine qu’elle ressent. Peine qui pourrait passer pour une gêne de déranger une inconnue mais qui au fond, est toute autre. « Est-ce que je pourrais utiliser le vôtre ? S’il vous plait ? » Elle agrémente sa moue d’un sourire désolé, histoire de l’amadouer du mieux qu’elle peut. Après tout, si elle lui claque la porte au nez, ce serait con. Même si sa persévérance et sa volonté de la confronter n’en seraient pas altérées.

CODAGE PAR AMATIS @Marnie Spellman

C’est étrange de se retrouver face à sa mère biologique, inconnue. Cette mère qui a osé abandonner son enfant dix-huit ans plus tôt. Cette mère qui a préféré se séparer de sa fille au lieu de lui apporter tout l’amour dont elle avait besoin pour grandir et s’épanouir. C’est douloureux, de se retrouver devant elle. Le cœur de Maeva est tellement serré en cet instant qu’elle en a presque le souffle coupé. Un poids vient de lui tomber violemment sur les épaules. Voilà donc à quoi ressemble celle qui l’a mise au monde. Physiquement, elles ne se ressemblent pas. Sans doute que Mae a hérité des traits de son père. Et lui ? Qui est-il ? Vivent-ils ensemble ? Sont-ils séparés ? Divorcés ? Est-il encore en vie au moins ? Les questions se bousculent dans sa tête mais elle balaye tout ça pour mettre son plan à exécution ; sortir une excuse bidon pour engager la conversation et pouvoir entrer chez elle, avec un peu de chance.

Marnie accepte de la laisser entrer et c’est déjà une victoire en soit. A présent, il n’est plus question de faire marche arrière. Voilà dix-huit années qu’elle a attendu ce moment fatidique. « Merci. » Lance-t-elle avec un petit sourire faussement gênée en s’engouffrant à l’intérieur. La maîtresse des lieux s’éclipse pour aller chercher son téléphone et la gamine en profite pour observer tout ce qui l’entoure. Ce qui la frappe ? L’espace. Elle-même n’a jamais vécu dans une maison aussi grande. Et propre. C’est spacieux, lumineux. Presque luxueux par rapport à tout ce que la jeune fille connait. Le jour et la nuit, comme on dit. Marnie Spellman est-elle ce genre de femme qui se débarrasse de ses enfants comme d’une vulgaire décoration dont on s’est lassé avant même de l’installer quelque part ? A-t-elle des regrets à l’heure actuelle ? Lorsqu’elle revient, Mae stoppe son tour d’horizon et ses prunelles sombres se posent sur un chien en plein milieu de passage qui manque de faire tomber Marnie. Dommage, elle aurait aimé assister à une chute. Une sorte de retour de bâton du karma. « C’est très joli chez vous. C’est douillet. » Sourire poli sur les lèvres, elle récupère le téléphone que sa génitrice lui tend. « Oh pourquoi pas oui, merci. » C’est si gentil de lui proposer de recharger son portable pendant quelques minutes. Au moins, ça lui donne une excuse pour s’éterniser un peu. Alors à son tour, elle lui tend le sien. En attendant, elle garde l’appareil de sa mère entre ses mains, sans même regarder l’écran puisqu’elle n’a aucune intention d’appeler qui que ce soit.

Non, au lieu de ça, il est temps de se jeter dans la gueule du loup. « Vous êtes Marnie Spellman ? » Elle serre le téléphone entre ses doigts. « La chanteuse. Je vous ai vue sur internet. Je trouve que vous avez une très jolie voix. » Comme la mienne, pense-t-elle très fort. « Vous avez pris des cours pour vous perfectionner ou c’est un don ? » Quand elle a potentiellement trouvé l’identité de sa mère lors de ses recherches, elle n’a pas hésité à regarder quelques vidéos de sa prestation. Le moins que l’on puisse dire, c’est que mère et fille partagent un talent commun. « On m’a toujours dit que j’avais une belle voix, moi aussi. » Ses parents adoptifs adoraient l’entendre chanter quand elle était petite. A tel point que son père ne cessait de la filmer, jurant qu’un jour il enverrait les vidéos à un producteur, certain du talent inné de sa fille. Une promesse qu’il n’a jamais pu tenir. « Je n’ai jamais eu l’occasion de passer des auditions. » Difficile avec sa vie chaotique où sa priorité était plutôt de survivre qu’autre chose. Difficile de penser à ce genre de futilités avec un passif pareil. En réalité, elle ne veut pas faire carrière dans la chanson. Etre connu ne fait pas partie de ses projets. Les siens sont bien plus terre à terre. L’un d’eux est déjà enclenché. « Est-ce que je peux vous montrer ? » Rien ne vaut une petite démonstration avant de véritablement entrer dans le vif du sujet. Certes c'est très culotté comme approche mais la fin justifie les moyens.

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Comme prévu, elle confirme bel et bien son identité. Le fait qu’elle soit connue est un avantage certain. Si cela a facilité les recherches, c’est également un bon prétexte pour se la jouer fan de sa carrière et de son talent. Peut-être même que Marnie peut se sentir flattée de compter une demoiselle si jeune dans son public ? Après tout, le domaine lyrique n’est pas le style de chant le plus répandu, ni le plus populaire chez les adolescents. A-t-elle un ego surdimensionné ou est-elle plutôt humble ? Maeva s’est toujours posé des tas de questions sur sa mère biologique et maintenant qu’elle l’a en face d’elle, elle ne parvient pas du tout à la déchiffrer. C’est impossible de lire entre les lignes. C’est tellement perturbant de l’avoir juste en face et de ne pas parvenir à déceler le moindre indice sur sa personnalité. C’est comme si son cerveau s’était focalisé sur son plan d’attaque et sur rien d’autre. Elle a un cheminement à suivre, le reste est superflu. Peut-être qu’en perçant sa carapace, l’évidence la frappera.

Marnie explique sa vision des choses sur son fameux don. Tout comme Maeva, elle aussi a pris des cours de chant. Encore un point commun, c’est presque amusant de relever toutes les similitudes. La jeune fille l’écoute sans la couper, hoche la tête de temps en temps pour lui signifier qu’elle est d’accord avec ses propos. « Je vois. » Lance-t-elle d’un air vague alors qu’elle s’approche du meuble où recharge son téléphone pour y déposer le portable de Marnie juste à côté. Parce que non, elle ne compte passer aucun coup de fil. Après sa proposition, la chanteuse semble hésiter quelques secondes. Est-elle en train de se rendre compte du subterfuge ? Pense-t-elle que Maeva est une fan un peu trop entreprenante ? Le genre de folles furieuses qu’on trouve à la télé et qui harcèlent sans vergogne ces stars qu’elles admirent ? En définitive, peut-être qu’il aurait mieux fallu que ce soit le cas. Il lui faut un temps de réflexion plus ou moins long pour accepter de l’entendre. Un sourire se dessine sur les lèvres de Mae, satisfaite de son coup. De toute façon, même en cas de refus, elle aurait tenté sa chance quand même. « Cool, vous ne serez pas déçue. » Non, parce que la déception ne sera pas le sentiment qui la submergera.

Maeva se racle la gorge et ferme les yeux pour se concentrer. Comme on le lui a appris dans son enfance, elle pose sa main sur son ventre. Elle fredonne dans un premier temps pour retrouver le rythme et bien vite ses lèvres s’ouvrent davantage pour laisser sa voix s’envoler. Les paroles qu’elle se met à chanter n’ont pas été choisies au hasard. Cette chanson, elle l’a méticuleusement sélectionnée puisqu’elle correspond parfaitement à la situation. Pour la simple et bonne raison qu’elle évoque le manque d’une mère. Impossible de passer un message plus clair. Maeva s’applique, sa voix est juste et il lui reste de bonnes bases de ses cours de chant. Une fois la chanson terminée, elle rouvre les yeux et pose ses prunelles sombres sur Marnie, déterminée à observer la moindre de ses réactions. Le sourire qu’elle avait jusqu’alors a disparu. Ses traits se durcissent. « Si j’en crois ce qu’on me dit, j’ai le même don que ma mère. » Volontairement, elle laisse planer le silence quelques secondes avant de reprendre. « Je m’appelle Maeva, je suis née le 31 octobre 2002, à Richmond en Virginie. J’ai été placée dans un orphelinat miteux parce que ma mère m’a lâchement abandonnée. » Ses sourcils se froncent à mesure que sa langue se délie. « Ma vie n’a été qu’une succession de drames en tout genre, j’ai vécu l’enfer parce que ma mère n’a jamais voulu de moi. » L’émotion est palpable et malgré elle, des larmes s’échappent et coulent le long de ses joues. « J’ai réussi à obtenir son nom malgré tout et aujourd’hui, je me pointe chez elle, chez cette Marnie Spellman pour lui dire à quel point je la déteste d’avoir ruiné ma vie. » Si on lui avait donné le choix, elle aurait préféré que sa mère avorte que de vivre tout ce qu’elle a vécu.

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Tout a été calculé, soigneusement préparé. Depuis que Maeva a trouvé le profil de sa mère sur internet, son plan s’est ficelé rapidement, étape par étape. Il lui a juste fallu un peu de temps pour trouver la chanson adéquate, le reste est apparu comme une évidence, une logique implacable. Les pleurs de sa mère étaient prévus, à moins que cette femme n’ait réellement aucun cœur. En revanche, un élément vient perturber le déroulement de son plan d’attaque. La colère était censée prendre le dessus, suivie de très près par la rancœur et une soif de vengeance intarissable. Pourtant, Maeva ne parvient pas à retenir ses propres larmes traitresses. Ça, ce n’était pas prévu au programme. Pourquoi se sent-elle si mal ? Pourquoi sa colère n’est-elle pas apaisée ? Pourquoi n’est-elle pas soulagée ? Qu’est-ce qui cloche encore ?

Marnie s’écroule et la gorge de Mae se serre aussi violemment que son cœur se brise. Elle lui en veut tellement, pourtant une part d’elle ne peut nier qu’elle est heureuse d’enfin pouvoir mettre un visage sur ses origines. C’est terrible de ressentir des sentiments contradictoires. Les mains tremblantes, la jeune fille reste immobile, à fixer cette femme submergée par le désespoir et la culpabilité. A l’image de Marnie, la vision de la gamine est floue et embuée de larmes. Sa mère s’excuse, tente de se justifier mais ce qui est fait est fait. Personne ne peut changer le passé. Qu’importe ses regrets. Qu’importe la rancœur de Maeva. Laissant sa génitrice reprendre un peu son souffle – si tant est qu’elle y parvienne – la petite Espinosa tourne les talons pour admirer un peu plus la décoration autour d’elle. Ce qu’elle n’avouera jamais c’est qu’elle ne tire aucun plaisir à voir Marnie dans cet état, au fond, ça lui fait même de la peine. Mais elle est fière, Maeva. Alors elle joue la carte de la pseudo indifférence et elle en profite pour essuyer ses propres larmes et calmer ses émotions.

Après quelques minutes, elle revient vers sa mère. « J’ai pas besoin d’excuse, c’est trop tard. » Ça lui fait une belle jambe, clairement. « Je veux que tu te rendes compte que t’as merdé. Tu croyais que c’était le mieux à faire ? Et bien tu t’es trompée, lourdement. J’ai pas eu une vie de rêve, loin de là. Je suis pas du genre à me plaindre mais tout ce que j’ai vécu, j’le souhaite à personne, pas même à mon pire ennemi. » Est-ce suffisant pour que Marnie se rende compte ou imagine un minimum toute l’horreur que sa fille a vécu ? « Je suis visiblement ta plus grosse erreur, dans tous les sens du terme. » De nouveau, elle sent ses yeux s’humidifier. « J’ai toujours ressenti un trou béant dans ma poitrine, un manque que j’ai jamais réussi à combler. Et cette colère, j’arrive pas à la faire sortir, ça me bouffe de l’intérieur. » Sa voix s’entremêle de sanglots alors qu’elle serre ses poings contre son corps, l’âme en lambeaux. « Pourquoi ? Pourquoi t’as pas voulu de moi ? » La respiration difficile, elle peine à articuler correctement. « Pourquoi t’as jamais voulu m’aimer ? » Sa voix se brise tout comme son cœur qui éclate en mille morceaux. Parce qu’au fond, ce qu’a toujours cherché Maeva, tout au long de sa vie, c’est l’amour perdu de sa mère.

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Cette femme tombe de haut. Au sens propre comme au figuré. Elle a perdu de sa superbe. Si ses iris étaient chaleureux quand elle a ouvert la porte, à présent ils ne transmettent que de la détresse. Maeva, debout face à elle, l’observe sans ciller. Les larmes coulent en silence sur ses joues mais maintenant qu’elle a fini de parler, ses prunelles meurtries fixent sa mère, assise par terre dos au mur – dans tous les sens du terme. L’adolescence ne tire aucune satisfaction de cette situation. Si elle avait naïvement pensé que confronter sa mère la soulagerait, elle réalise qu’elle s’est trompée. Sa peine n’est en rien amoindrie. Au contraire, elle s’intensifie. C’est assez ironique quand on y pense, parce que Marnie représente tout ce qu’elle a toujours cherché. Tout ce qu’elle a toujours voulu. Tout ce qui lui a toujours manqué. Une mère.

Malheureusement on ne peut pas changer le passé. On peut au mieux essayer de le rattraper. Mais Mae le souhaite-t-elle vraiment ? La trentenaire ouvre la bouche pour lui servir un long discours afin de répondre à ses questions. Expliquant le pourquoi du comment. Elle évoque son père qui a foutu le camp et qui a chamboulé tous les plans. Ainsi donc est-il le seul responsable ? Non. La situation de Marnie n’était pas facile, Maeva pourrait le reconnaitre si ses émotions ne foutaient pas un tel bordel dans sa tête. Rien n’excuse un abandon. Rien ne justifie de séparer un enfant de sa mère. Pas à ses yeux. Pas aujourd’hui. Elle ne dispose pas du recul nécessaire pour comprendre. A sa place, qu’aurait-elle fait ? Difficile de se projeter ou d’inverser les rôles. Elle avait deux ans de moins que toi, Mae. Seize ans, c’est ironique quand on y pense. Au même âge, la mère et la fille se sont fait planter. Sens propre pour l’une, sens figuré pour l’autre.

Le silence s’installe. Les mots de Marnie s’impriment dans son esprit alors qu’elle amène la manche de son sweat vers son visage pour essuyer ses larmes. Enfin, la chanteuse relève la tête et leurs prunelles s’accrochent. A quoi aurait ressemblé sa vie à ses côtés ? A seize ans, vivait-elle chez ses parents ? Allait-elle encore au lycée ? Envisageait-elle déjà de faire carrière dans la musique ? Maeva refuse de croire que sa vie n’aurait pas été meilleure avec elle. Peu importe les épreuves, les difficultés, elles les auraient surmontées à deux, comme toutes les familles. Alors que ses pensées s’entrechoquent et s’emmêlent, Marnie reprend la parole. Elle prononce des mots qui chamboulent l'adolescente un peu plus. Elle est perdue, Mae. Complètement paumée dans un déluge de sentiments contradictoires. Baissant les yeux quelques secondes, elle soupire un grand coup avant d’avancer vers sa mère et de tendre une main vers elle, pour l’aider à se relever. « J’ai pas vécu l’enfer toute ma vie, si ça peut te rassurer. J’ai été adoptée à quatre ans et les six années qui ont suivi ont été les plus belles de ma vie. C’est à cette époque que ma mère m’a inscrite à des cours de chant. Je dessinais beaucoup aussi et le frigo était enseveli. Mon père m’a appris à parler sa langue natale et ça rendait maman dingue parce qu’elle ne comprenait rien. Il m’a appris à faire du vélo sans roue aussi et je sais nager grâce à eux. » Elle pense souvent à ces moments là quand elle ne va pas bien. Ce sont les souvenirs les plus heureux de son existence alors ils lui sont chers. « Et puis… Je les ai perdus. La maison est partie en fumée. J’aurais préféré partir avec eux ce jour-là parce qu’après ça… » Elle se coupe, sa gorge se serre et son estomac se tord douloureusement. Après ça, ce fut la descente aux enfers. Ni plus ni moins. Mais elle n’a pas envie d’en parler. Pas maintenant. « On se ressemble pas toi et moi. J’en déduis que je ressemble à mon père. Qui c’est ? » Qui est l’autre responsable de son malheur ? Qui est ce lâche qui a fui pour détruire deux vies ? Elle pourrait lui demander où il se trouve également mais s’il a disparu dix-huit ans auparavant, il y a peu de chance qu’il soit dans le coin…

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Si Maeva avait vécu une belle vie, sans heurts, ni perte ni fracas, son état d’esprit vis-à-vis de sa mère biologique aurait été différent. Comment en vouloir à une femme – qui l’a abandonnée, certes – qui n’a voulu que le bonheur de sa fille si cette dernière l’avait bel et bien trouvé. Une belle vie dans une famille aimante avec des parents adoptifs formidables, sans aucune ombre au tableau. N’est-ce pas ce que Marnie avait imaginé en laissant son bébé à l’adoption ? Une belle vie en rose, sans tâche. Mais ce n’est pas le cas. C’est loin d’être le cas. Alors quand bien même sa vie avec sa mère biologique aurait été compliquée, jamais cela n’aurait pu être pire que ce que Maeva a déjà vécu. Jamais elle n’aurait pu tomber plus bas. Qu’y a-t-il de pire que de tout perdre et se retrouver à vivre dans la rue ? A dix-huit ans à peine ? Dommage, il semblerait qu’elle ait raté le coche du bonheur parfait.

Marnie reste silencieuse sans que Mae ne comprenne réellement pourquoi. N’a-t-elle pas des tas de questions à poser à sa fille ? Ne s’intéresse-t-elle vraiment pas à elle ? Culpabilise-t-elle trop pour ouvrir la bouche et se montrer curieuse ? Estime-t-elle qu’elle n’en a pas le droit ? Sans doute que le choc de cette rencontre et des révélations qui ont déjà fuité n'est pas encore digéré. Mieux vaut tard que jamais. Même si cette absence de réaction conforte la jeune fille dans l’idée que sa mère se fiche éperdument de son sort. Ça ne l’aide pas à remonter dans son estime. Qu’importe, Maeva peut combler les blancs pour le moment. Connaitre un parent, c’est bien, mais qu’en est-il de l’autre ? A première vue, la ressemblance physique n’est pas frappante, les conclusions ne sont donc pas difficiles à en tirer. L’adolescente ressemble à son père alors qui est-il ? Le suspense n’est pas très long et la réponse que lui fournit Marnie lui glace le sang instantanément. Dès que l’identité de son géniteur est prononcée, la jeune fille se fige. Les yeux écarquillés, sa bouche s’entrouvre sans qu’elle ne puisse le contrôler. Instinctivement, elle recule de quelques pas, les prunelles braquées sur sa mère. « Pablo Rivera… » Elle déglutie, choquée. Comble de l’ironie, cet homme, elle l’a rencontré quelques jours plus tôt. Machinalement, elle baisse la tête pour regarder sa main bandée. Cette blessure, c’est lui qui l’a soignée. Dans son esprit, le visage de ce mexicain se dessine et elle se remémore ce moment passé avec lui à la perfection. « L’ambulancier… » Il était sympa, pourtant. Dommage. Pablo vient littéralement de dégringoler pour se casser la figure tout en bas de son estime. Comme quoi, il faut toujours se méfier des apparences. « Cabrón… » Lâche-t-elle entre ses dents serrées. Une insulte qu’elle n’a pas pu retenir en pensant à lui et à sa sympathie. Parce qu’en définitive, c’est lui la cause de tous ses malheurs. Il est à l’origine de tout. Il est évidemment inutile qu’elle précise à Marnie qu’ils se sont déjà rencontrés. Au vue de sa réaction, cela semble évident. « Putain de hasard. » Il a un drôle de sens de l’humour, n’est-ce pas ? Tu as rencontré tes deux parents en l’espace de quelques jours, Maeva, n’est-ce pas fantastique ? Inspirant un grand coup, elle doit lutter pour contrôler le flot d’émotions qui la submerge. Tout se mélange dans sa tête, trop de sentiments contradictoires s’entrechoquent. « J’peux avoir un verre d’eau ou c’est trop te demander ? » Pour le tact, on repassera. Toujours est-il que Mae ne sait pas exactement quoi faire à l’heure actuelle. Une partie d’elle a envie de s’enfuir en courant, l’autre a envie de rester pour accaparer encore un peu sa mère. L’adolescente contre la gamine perdue. Elle n’a pas encore choisi son camp pour le moment.

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Le hasard a un sens de l’humour assez particulier. Quelle était la probabilité pour que Maeva tombe sur son père, dans une ville si grande, avant de connaitre la véritable teneur de leur relation ? Faible. Très faible. Pourtant, il a fallu que ce soit lui en particulier qui débarque ce fameux jour où elle s’est battue. Il a fallu que ce soit lui qui soigne sa main et fort de sa sympathie, c’est lui qui lui a payé à manger par la suite, visiblement touché qu’elle ne soit livrée à elle-même et à la rue. Quelle ironie quand on y pense. Face à la réaction de Maeva, Marnie ose poser la question. Dans un premier temps, Mae se contente de baisser la tête vers le bandage entourant sa main pour toute réponse avant de finalement hocher la tête. « Ouais, brièvement. Il a fait son job. » En lui offrant un peu de son temps et un repas au passage. Tout le monde n’aurait pas fait preuve d’autant de bonté, c’est important de le souligner.

C’est un tel merdier dans sa tête qu’elle pourrait presque sentir quelques vertiges la tirailler. Pourquoi faut-il que ce soit aussi compliqué ? Pourquoi sa mère ne peut-elle pas être une garce sans remord comme elle l’a toujours imaginé ? Pourquoi son père s’est-il montré si gentil ? A-t-il plusieurs facettes comme les méchants des dessins animés ? Des questions qui resteront en suspens pour le moment. Sa bouche est soudainement desséchée et Marnie accepte d’aller lui chercher un verre d’eau. Qui aurait pu refuser ? La chanteuse lyrique s’éclipse dans la cuisine mais Maeva ne quitte pas la pièce. En quelques pas, elle rejoint son téléphone qui continue de se charger et elle l’observe quelques minutes. Le numéro de Pablo est enregistré dans son répertoire. Elle n’a qu’à lui envoyer un message. Mais quand ? Maintenant ? Ce soir ? Dans quelques jours le temps de digérer la nouvelle ? Peut-être dans quelques semaines.

Marnie ne tarde pas à réapparaitre, le verre d’eau à la main. « Merci. » Mae le récupère pour le porter à ses lèvres et en boire quelques gorgées. C’est pendant ce petit interlude que sa mère en profite pour combler le silence afin d’en apprendre plus sur son enfant. Ainsi donc, elle s’intéresse du sort de sa fille ? Est-elle suffisamment prête pour encaisser la vérité ? Pour apprendre ce par quoi Maeva est passée pour en arriver là ? « Tu devais t’asseoir alors. » Pas sûr qu’elle tienne le coup. Cependant, le récit n’a pas le temps de commencer qu’un bruit à proximité suivi d’une petite voix attire l’attention de l’adolescence. Un mot qui la paralyse alors qu’elle pose ses yeux écarquillés sur la silhouette d’une petite fille. Instantanément, le cœur de Mae se serre violemment, son estomac se tord et sa mâchoire se crispe. Sans réellement s’en rendre compte, ses doigts relâchent leur prise autour du verre et il vient s’écraser avec fracas sur le sol. C’est douloureux de constater que sa mère l’a remplacée par une autre enfant. Ça pour le coup, elle ne l’a pas vu venir. Et c’est d’autant plus blessant. On jette la première fille pour en faire une autre à la place, c’est ça ? Profondément blessée, Maeva ne peut s’empêcher de secouer la tête en fixant la gamine. « J’y crois pas. » Est-ce qu’elle s’attendait à ce que sa mère ne refasse jamais sa vie ? N’est-ce pas une pensée plutôt égoïste ? Sans doute, mais pourquoi l’a-t-on abandonnée elle et pas cette petite face à elle ? « Je vois que t’as pas fait la même erreur deux fois. » Vexée, une seule idée vient à présent prendre toute la place dans son esprit ; s’en aller d’ici. Vite. « J’ai plus rien à dire, t’auras qu’à imaginer des atrocités  et tu seras sans doute pas loin de la vérité. » Parce qu’elle ne compte plus répondre à ses questions, c’est trop tard. D’un geste vif, elle débranche son portable pour le récupérer. « Ça sert à rien de me chercher, j’ai pas d’adresse je vis dehors. » A ces mots, elle tourne les talons pour mettre fin à cette mascarade et quitter cet enfer.

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