Elle a réussi, elle l'a isolé. A développé chez lui une haine, une peur, une méfiance constante envers les autres qui l'a empêché de se faire des amis. Son père étant souvent absent à cause de son job elle était vraiment la seule qui comptait. Elle l'a privé de tout un tas de choses "pour sa protection". Comme il n'avait pas de potes il ne sortait pas s'amuser mais elle ne lui permettait aucune autre activité. Pas de sport, pas de loisir en dehors de chez eux. Prisonnier de cet amour trop pesant, trop possessif, pas normal. Mais il ne sait pas ce pré-ado que tout ça n'est pas normal. Elle veut juste le protéger pour pas qu'il ne souffre. C'est ce qu'il se dit parce que c'est ce qu'elle lui dit. Ce qu'elle lui répète encore et encore. Ses activités autres que scolaires sont le dessin et les jeux vidéos en majeure partie. Protection qui l'affaiblis. Son manque d'activité physique le rend aussi fragile de corps qu'il ne l'est d'esprit. Cette isolation, cette solitude ça le pèse de plus en plus. Il ressent de plus en plus un manque qui l'affecte grandement. Vide qui prend de la place. Ca le rend malade. Déjà plutôt maigrichon il se met à moins manger, deviens plus pâle qu'un fantôme dans un film et les cernes creusent son visage jusqu'au milieu de ses joues. A douze ans il est diagnostiqué comme hypersensible. Le spécialiste conseille fortement à sa mère de lui faire voir du monde, de lui trouver de nouvelles activités, de le pousser à suivre ses passions. Son père faisant lui même du forcing derrière, elle a décidé d'à moitié les écouter. Elle a continué à le garder éloigné des autres mais elle l'a pris avec lui à la cuisine pour lui apprendre. Elle a arrêté de lui acheter seulement des jeux vidéos et lui a aussi acheté pas mal de livres et un abonnement qui lui permettait de regarder plein de films. C'est en regardant tout ces films et en lisant qu'il a commencé à se poser des questions. A se dire que le monde n'est peut-être pas comme il l'a toujours cru. Alors il a commencé à douter de sa mère. Plus il y réfléchis plus sa bienveillance à son égard lui parait suspect. Tout ce qu'il voit sur cet écran, ces histoires, elles sont romancées c'est vrai mais ça ne peut pas être basé que sur du faux. Petit à petit il prend conscience qu'il est en train de passer à côté de sa vie alors qu'il y a tellement de choses qu'il pourrait vivre, là, dehors, avec les autres. Il pourrait se passer plein de choses s'il arrêtait de rejeter les gens à l'école et s'il ne restait pas enfermé le reste du temps. Il en a envie de tout ça. Lui aussi il veut vivre toute ces choses, même les déceptions. Oui il veut prendre le risque d'être déçu par les gens, prendre celui de ne pas l'être. Il veut faire ses choix lui même. Il veut faire ses erreurs, ne plus simplement les éviter mais s'en relever. Il veut commencer à vivre.
Rébellion qui petit à petit se construit dans sa tête. Auprès de sa mère il manifeste ses envies d'ailleurs, ses envies de plus, ses envies d'autres choses. Il lui tient tête de plus en plus, lui dit qu'elle a tort, que tout n'est pas malfaisant dehors. Mais elle se refuse à entendre le moindre de ses arguments. Ca ne lui plait de le voir s'échapper de son emprise. Elle refuse de le laisser à d'autres, de le laisser partir. Elle refuse. Et chaque fois qu'une discussion de la sorte s'ouvre elle décide soit de la fuir soit de lui faire revenir sur ses idées. Mais ça ne fonctionne pas. Ces idées lui trottent de plus en plus dans la tête. Il la veut cette liberté, il ira la décrocher. Alors un soir. Un samedi soir. C'est par sa fenêtre qu'il s'enfuit. Excité comme jamais à l'idée de découvrir comment est réellement le monde. Il veut s'y jeter comme une giclée d'huile dans une poêle brulante. Il est persuadé que ce soir il va pouvoir faire la fête. Joie qui redescend bien vite quand après avoir fait la queue à l'entrée d'une boite il se fait recaler. Trop jeune. Les mains dans les poches il déambule dans les rues jusqu'à arriver à une autre boite. Maladroitement il place ses cheveux en arrière et se redresse. Tente de paraître plus vieux et plus sûr de lui. Il ne serait tout de même probablement pas passé si une fille ne lui avait pas proposé de rentrer avec lui. Ses yeux pétillent de ce geste simplement gentil et gratuit parce qu'elle l'a vu en détresse. Tout le monde n'est pas mauvais. Cette fille elle l'a aidé à rentrer et l'a laissé tranquille après. Elle n'a rien demandé. Sa mère ne lui a raconté que des conneries. Les lumières violettes, la musique qui résonne trop fort dans ses oreilles le mettent tout de suite dans l'ambiance. Il a envie d'aller danser et de s'éclater au milieu de tout le monde mais une timidité l'en empêche. Alors ça devient rapidement ennuyant et la musique deviens rapidement trop forte pour sa boite crânienne. Ce rythme, il tape dans sa tête et sa joie rapidement se voit tourmentée. Plusieurs personnes viennent lui parler mais, hommes comme femmes, alors qu'ils ne draguaient pas forcément, il les a rejetés. Tous rejetés et pas de la façon des plus agréable. Insouciance volée il se rend compte qu'il n'arrive pas à ne pas se méfier. Il l'a fait trop longtemps, il en est même devenu parano. Il n'y arrive pas. Il n'arrive pas à s'ouvrir aux autres. La soirée se transforme en enfer. Il s'en rend compte. Il voit comment il réagit. Et en se voyant faire il se dégoûte. Pourquoi il est comme ça ? Pourquoi putain ? Pourquoi il y arrive pas ?! A se protéger de tout il a surtout peur de tout et est en incapacité totale de profiter d'un moment avec d'autres personnes que sa mère, voire son père. Horrifié par lui même, horrifié de lui même, il se barre et rentre chez lui. La lumière est déjà allumée quand il rentre, pourtant au milieu de la nuit. Sa mère qui l'attend et qui lui saute dessus pour lui demander où il était, semblant autant inquiète qu'en colère. Mais elle n'est pas autant en colère que lui. Les yeux rougis et humides par la rage qu'il peine à contenir.
Elle a porté plainte. Probablement a-t-elle compris que le lien était définitivement brisé. Ce lien qu'elle s'était donné tant de mal à construire au détriment de sa santé mentale. Lien qu'il ne regrette pas d'avoir saccagé, pas une seconde. En revanche il regrette de s'être emporté à ce point. Il ne voulait pas la frapper. Mais il l'a fait, maintenant il doit payer. Mais du haut de ses quatorze ans il n'encours aucune peine de prison. Sa peine c'est d'être envoyé en centre d'éducation pendant un an et de devoir voir un psy pendant encore un moment après ça. Expérience douloureuse qu'il tente à nouveau, ou plutôt qu'il subis cette fois ci. Jeté en dehors de sa zone de confort. Il ne connait personne, pas même les lieux pour un réconfort. Rien ni personne. Durant les premiers mois il a fait de multiples efforts de sociabilisation. Il a tenté presque tout les jours d'aborder quelqu'un, d'entamer la conversation avec lui. Il a essuyé beaucoup d'échecs, on lui disait qu'il était bizarre. Parce qu'il n'a plus cette habitude de faire connaissance. Parce qu'il pose des questions qu'on ne pose pas quand on ne connait pas. Indiscret, chelou et en plus de ça un peu flippant à son teint blafard et son air de psychopathe. Il a fini par plus ou moins baisser les bras. La plus part des jeunes ici avaient de gros caractères. Certains parfois essayaient de l'intimider. Il s'est fait frapper quelques fois mais ils ont fini par le laisser tranquille. Encore une fois parce qu'il a été trop bizarre. Parce qu'il ne s'était pas énervé. La dernière fois qu'il l'avait fait il s'était retrouvé ici parce qu'il avait perdu le contrôle et s'il y avait bien une chose qu'il ne voulait pas, c'était prolonger son séjour. Puis, parce qu'en plus de rester calme et de ne pas être drôle il se mettait parfois à leur poser des questions. A coup de
Les rendez-vous chez le psy ça, c'est quelque chose. Lui qui avait tant de questions à poser aux autres ados il a pourtant bien du mal à répondre à celles du psy. Pas qu'il n'ai pas de réponse à ses questions en fait. Il y répond d'ailleurs dans sa tête et analyse lui même ses réponses. Mais il ne lui fait pas confiance. Pour lui son intérêt est faussé. Il est payé pour s'occuper de lui. Il ne s'intéresse pas vraiment à lui, il ne veut pas le connaitre, il veut juste identifier ses problèmes, les juger pour savoir s'il est apte à continuer sa vie normalement ou s'il doit suivre un traitement en plus des séances, et tout ça pour pouvoir toucher son argent. Sans argent il n'en ferait rien. S'il a besoin d'une carotte pour s'intéresser à lui alors ça n'est pas lui qui l'intéresse mais la carotte. C'est comme ça qu'il raisonne. C'est comme ça qu'il voit les choses à cet instant. Il se demande si c'est aussi le cas de la fille qu'il croise très régulièrement. Leurs séances se suivent tellement souvent que leurs parents ont fini par faire connaissance. Son père a divorcé de sa mère après toute cette histoire. Ouvrant enfin les yeux sur ce qu'il se passait vraiment. Il a réduis ses heures de boulots pour pouvoir s'occuper plus de son fils. Mais vu à quel point il adore papoter avec la mère de la fille qu'il croise tout le temps il est pas sûr qu'il va resté seul bien longtemps à l'élever. Ca ne loupe pas. Quelques mois plus tard les voilà en couple et l'année d'après ils emménagent ensemble. Si rapide mais comment le blâmer. Pourquoi attendre quand on est sûr de sois ? Pourquoi perdre du temps inutilement. Nouvelle famille. Et ça n'est pas qu'une nouvelle mère qu'il trouve. Cette fille qu'il a si souvent croisé sur le chemin, c'est censé devenir sa sœur. Encore une fois il a probablement la pire approche possible cette nuit la où, comme il n'arrive pas à dormir, il débarque dans sa chambre et la réveille. Oui il avait réellement espoir qu'elle accepte de faire plus ample connaissance mais bien sûr elle l'envoie chier. Et pourtant plus tard c'est elle qui vient le réveiller dans sa chambre pour se venger. Il ne l'envoie pas chier. Il a réellement envie de faire connaissance, en fait, il lui propose même un petit jeu qui deviendra leur rituel pendant bien des nuits. Une lampe torche pour éclairer leurs visages. Chacun leur tour ils posent une question à l'autre. Soit ils ne veulent pas répondre et dans ce cas ils éteignent la lampe torche, soit ils répondent mais dans ce cas ils sont obligés de dire la vérité. La vérité, c'est quelque chose qu'il a voulu instaurer dès le départ entre eux. S'ils doivent être frère et sœur ils doivent pouvoir se faire confiance et il ne veut pas avoir à se demander si elle lui ment ou non. Il se montre très patient avec elle, ne la force jamais à rien. Et, elle qui est pourtant très fuyante finit par se confier. Entre ce qu'elle lui dis et les déductions qu'il fait de ses silences, rapidement ils apprennent les pires atrocités qu'ils ont pu vivre. Pendant des mois et des mois ils se sont adonnés à ce petit jeu et ça sans presque jamais avoir de contact physique, seulement psychique. Avec toutes les questions qu'ils se sont posés ils se connaissent quasiment par cœur au bout d'un an. Pourtant il y a bien quelque chose qu'elle n'a pas vu venir. Une chose qui l'a pourtant longtemps travaillé avant qu'il en parle. Chose portée en lui jusqu'à être sûr de ce que c'était.
Dès qu'il peut Klaus prend un appart à lui pour ne plus avoir les parents sur le dos. Même si ça veut dire s'éloigner aussi de River mais rien n'empêche de la voir régulièrement. Sa vie deviens très différente de celle qu'il a pu vivre enfant ou ado. La liberté. C'est ce qu'il recherche. Son Saint Graal. Et ce premier pas est d'un plaisir immense. Pouvoir sortir quand il veut et faire ce qu'il veut sans avoir aucune remarque à son retour parce qu'il vit seul. Personne pour le juger. A vingt ans il a eu sa première relation sexuelle avec un homme. Il a toujours su qu'ils l'attiraient autant que les femmes mais il n'avait jamais franchis le pas jusque la. S'il prend du plaisir corporel avec qui lui plait en revanche il ne s'attache pas sentimentalement. En tout cas pas au delà de l'amical. La place est déjà prise. C'est une amie qui lui a greffé l'idée en tête de faire des tatouages quand elle a vu ses dessins. Une idée plantée. Une idée qui a germé. Il a fait tout les tatoueurs de la ville pour en trouver un qui accepterait de le prendre en stage. En réalité il n'avait pas de stage à faire pour les cours mais il a travaillé gratuitement à côté. Comme une formation qu'il n'a pas payé. Mais il a fait ça bien, préparé tout les papiers nécessaires pour embobiner son formateur. Après ça il a lancé son auto-entreprise, en parallèle de ses études et quand il a vu que ça fonctionnait il a laisser tomber les cours. Patiemment il a attendu que le locataire de l'appart au dessus de son salon de tatouage s'en aille pour sauter dessus. De cette façon il n'a qu'un escalier à descendre pour se rendre au travail. Brique après brique il se construit une situation qui se rapproche de ses espérances et cimente tout ça avec les plaisir de la vie, les relations. Tout type de relation. Les gens. Il s'y intéresse. Il les apprend. Depuis qu'il a pris l'habitude de les analyser pour savoir comment se comporter et ne plus paraître trop bizarre, il a réussi à beaucoup plus facilement s'intégrer parmi eux. Pourtant il a toujours cette impression qu'il est décalé avec la société. De l'extérieur sa vie se rapproche à un schéma classique d'une personne lambda. Quand on regarde de plus prêt et qu'on creuse un peu on peut se rendre compte que c'est une illusion contrôlée. Le contrôle. Il déteste ne pas l'avoir. Déteste sentir que les choses lui échappent et qu'il ne les gère plus. Récemment il a appris que sa mère cherchait à renouer contact avec lui. Si son cerveau est déjà presque constamment en conflit intérieur cette fois ci, malgré le masque de sérénité qu'il arbore, il est sur le point d'exploser.