11 > Better to know your enemy | Klayn

Je venais de terminer le dossier que j’allais présenter pas plus tard que d’ici quelques minutes. Enfin, celui-ci était prêt depuis un moment maintenant, il ne me restait plus qu’à le vérifier. La vérité, c’était qu’il était terminé depuis un moment, les feuilles, photos et autres désorganisées dans une chemise avec un nom, une adresse, un numéro. Mais je ne pouvais pas le présenter comme ça, ce serait horrible pour mon image. Je devais donc le classer, placer la feuille qui résumait toutes mes observations, conclusions sur le dessus, les preuves après. Il n’y avait pas de règle de conduite, mais mon passé d’inspecteur avait encore un impact sur ma personne, fallait-il croire, considérant que je m’y prenais environ comme on le faisait pour les rapports, ce que je détestais le plus. Ce n’est pas une partie de plaisir en ce moment, non plus, mais sachant que j’allais être payé, et bien payé, je n’allais pas me plaindre. Plus encore, je n’allais même pas passer de commentaire sur l’étrangeté de la mission. Je n’en avais pas passé, je n’avais même pas posé de questions à caractère plus informel. Il fallait croire que je m’améliorais, quand même un peu. Terminant de tout fermer, j’eus tout juste le temps de déposer le dossier sur la table que j’entendis frapper à la porte. Pile à l’heure, un ponctuel. Je ne le connaissais pas tant, mais au vu de ses demandes, des interactions, je pouvais dire que ça ne me surprenait pas vraiment. J’allai ouvrir la porte, non sans jeter un coup d’oeil derrière moi pour m’assurer que le bordel qui était là la veille n’était pas soudainement réapparu pendant la nuit à mon insu, et j’accueillis mon client avec un:  « Bonjour, Monsieur Miller. » Politesse, toujours de mise, même si tant de délicatesse, ça ne me ressemblait pas. L’avantage de travailler seul était que je n’avais pas à parler à autant de gens qu’avant, même si c’était connu - et assumé - que je n’avais jamais été le plus poli et sensible du lot dans la police. Me décalant, je le laissai entrer, et j’ajoutai:  « Le mieux serait d’aller s’asseoir en salle à manger. » La salle à manger, endroit où je me nourrissais quand, par principe, je voulais dire que j’avais pris le temps de manger convenablement. Ce qui était rarement le cas. Dans le cas présent, ça me servait de lieu de rencontre, à défaut d’avoir une pièce pour le faire. Un jour, je devrais y songer. Trouver un appartement plus grand, louer un local à part, même si en ce moment, ça me semblait être un caprice beaucoup trop luxueux pour le revenu que je faisais. Même si, je n’allais pas le nier, ça, c’était un peu pathétique. Enfin, pas autant que le:  « Vous voulez… Un verre d’eau ? » que je proposai, à défaut de ne pas savoir quoi faire d’autre. L’alcool ? Je n’en avais pas. Du café ? Je pourrais toujours en faire, mais je ne savais pas si j’avais le courage de le faire, ou plutôt, meubler la discussion pendant que je le faisais. Je n’aimais pas tourner autour du pot, si ce n’était que de moi, je ne ferais que lui présenter les conclusions et voilà, mais je devais rester un minimum professionnel si je voulais garder une certaine réputation.

Je le savais bien que je faisais un piètre hôte mais c’était ainsi. Je n’avais pas d’alcool à offrir, je n’avais pas le temps ou l’envie de laisser ma machine à café qui prenait un temps de dingue à préparer l’équivalent de deux tasses ou entretenir une conversation superficielle qui n’irait nulle part. C’était comme ça que j’étais, et il était évident que dans des circonstances moins formelles, je serais beaucoup moins détendu, mais un chèque m’attendait au bout, et tant et aussi longtemps que je ne l’aurais pas encaissé, hors de question que je prenne quelconque risque. Heureusement, mon client ne semblait pas m’en vouloir sur mon manque de manières et encore mieux, il sembla d’accord à commencer à discuter de ce qu’il attendait probablement aussi maintenant. Alors qu’il formulait sa supposition concernant mes trouvailles, j’ouvris le dossier qui se trouvait devant moi tout en regardant mon interlocuteur. Ensuite, je répondis:  « Enfin… Je n’ai pas trouvé la taille de son soutien-gorge mais… Je crois que le dossier est bien rempli. » Je réalisai après-coup que ce n’était pas nécessairement un propos approprié compte tenu qu’il s’agissait de la mère de mon client, mais je décidai de ne pas trop m’en faire. Inspirant, je le laissai reprendre la parole, ne m'attendant pas à un tel propos de sa part. Je fronçai les sourcils un bref moment, le temps de voir ce que j’allais lui répondre, et je dis:  « C’était inévitable, mais je m'en suis tenu à l’essentiel. » Donc non, je n’étais pas allé fouiller là où je ne pensais pas trouver quoi que ce soit de pertinent pour le dossier. Lui tendant le dossier, je séparai la première page de celui-ci, et j’expliquai:  « Sur la première page se trouve le rapport qui résume ce que j’ai trouvé comme informations et où le tout se trouve dans le dossier. » J’avais fait un effort pour faire des onglets, quand même. Rien de très beau, je n’étais pas complètement accro à l’organisation quand même, il ne fallait pas exagérer. J’ajoutai ensuite:  « Évidemment je suis là pour vous donner plus de détails si nécessaire ou s’il manque quelque chose. »  J’étais parfaitement conscient que ce n’était pas ainsi que l’entretien allait prendre fin, mais je voulais lui expliquer la façon dont je travaillais et comment il pourrait trouver les informations. Après, je pourrais l’expliquer davantage, le dossier était assez frais dans ma tête pour que je sois capable de le faire, mais à défaut de savoir ce qu’il voulait connaitre en urgence - puisque le tout lui appartenait, j’en avais ma propre copie - je préférais lui dire, puis voir ce qu’il souhaitait me demander par après.

Je fus rassuré de voir mon client rire à ce qui était à la base une plaisanterie, mais qui aurait pu potentiellement être mal pris. Je m’en étais rendu compte qu’après avoir prononcé ces mots, et je l’avais regretté pendant un instant, mais voyant clairement que je n’avais pas à m’en faire, je ne paniquai pas davantage. Pas que j’étais vraiment en panique mais bon, je n’avais pas envie de provoquer un malaise non plus. Passant outre, je me concentrai davantage sur le dossier, lui expliquant brièvement comment j’avais travailler, ce qu’il allait y trouver mais surtout, comment il allait le trouver. Si je commençais à tout éplucher page par page, photo par photo, le jeune homme allait passer de nombreuses heures ici, et je ne savais même pas si ce serait des heures pertinentes, parce que je ne savais pas ce qu’il voulait savoir très exactement. Enfin, moi je préférais prendre pour acquis que dès maintenant, ça lui appartenait, mais que je pouvais l’éclairer en cas de besoin. Lui laissant un moment, je ne dis rien, attendant de voir s’il allait me poser une question. Au final, il le fit, mais sa question me surprit quelque peu. Pourquoi ? Pourquoi voulait-il savoir ça ? Était-ce pour savoir comment elle était, ou bien était-ce pour me questionner sur mes techniques ? La première option était bien innocente, et j’osais espérer que c’était la bonne, parce que je n’avais pas envie de me montrer méfiant pour rien, ou bien faire preuve de naïveté… Après, ce n’était pas si difficile à répondre quand on y songeait. Et s’il ne voulait absolument pas que je lui parle, il n’avait qu’à le préciser au départ. La satisfaction du client étant ma priorité, j’y aurais plié. Cette idée en tête, je lui répondis:  « Oui et non. » La réponse vague par excellence, je le savais très bien, et c’était volontaire. Ça ne faisait pas partie d’un plan quelconque, c’était tout simplement la vérité, comme je le précisai en ajoutant:  « Il y a une fois ou deux où je l’ai croisée et échangé quelques paroles, mais sans plus. Pas de quoi à ce qu’elle me démasque ou me demande ce que je faisais. » Même qu’à un moment j’ai cru que je lui faisais de l’oeil mais je ne m’y étais pas attardé, puisque je n’étais pas là pour ça à la base.  « J’ai construit le dossier essentiellement avec des recherches, des photos et entretiens avec quelques contacts. » L’avantage de connaitre certaines gens un peu partout, gracieuseté de mon ancien métier. Mais je n’allais pas nommer ces contacts, ça, c’était hors de question, alors si Niklaus voulait vraiment questionner mes méthodes, il n’allait pas le faire bien longtemps de ce côté là.