Notes pour trop tard |Poppy

Depuis qu’elle avait retrouvé Soraya, Tamara n’avait de cesse de penser au début de leur conversation, au détour de deux boites de conserve. De cette maladresse « comment va ta mère ». Plus elle y pensait, plus elle s’en faisait des montagnes. Plus elle s’en faisait des montagnes, plus elle y pensait. La boucle était bouclée. Elle se sentait con, forcément, mais surtout, elle n’aurait jamais imaginé un jour avoir à vivre ça. Car cette femme n’était pas simplement la mère de Soraya. Elle avait aussi été, pendant longtemps, l’une de ses meilleures amies. Un soutien précieux, une oreille attentive et surtout : répondant à l’appel de chacun de ses délires. Seulement voilà : cette amie précieuse, elle ne la reverrait plus jamais. Elle qui attendait tellement ce repas de retrouvailles, jamais il n’arriverait.
Pour se faire pardonner cette maladresse et aussi et surtout parce qu’elle adorait cette gamine, Tamara avait proposé à Soraya de venir chez elle, le temps d’un repas. Elles pourraient passer du temps ensemble, et puis, c’était le moment idéal pour que sa fille et la blondinette ne se retrouvent ! Après ça, des tonnes et des tonnes de questions n’avaient eu de cesse de tourner dans la caboche parfois un peu trop pleine de la quadragénaire. Elle refaisait le monde seule comme souvent. Mais à force de remuer le passé, la nostalgie devient plus forte. Alors de fil en aiguille, ses souvenirs avec son amie tous passés en revue, lui reviennent également ceux du frère de sa meilleure amie. L’oncle de Soraya, donc. Bon, ok. Ce n’étaient pas non plus les meilleurs amis du monde, il ne fallait pas enjoliver les choses. Mais Tamara avait toujours apprécié le rouquin. Elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander ce qu’il devenait, comment il allait. Ne digérant toujours pas la disparition de son amie, elle prit son courage à deux mains et envoya un message à Soraya : « Dis moi ma belle, ton oncle, il habite toujours au même endroit, hein ? » une fois rassurée, elle avait décidé de rabouler chez lui, comme ça, l’air de rien. Pour lot de consolation, un pack de bières et de l’amitié à revendre. Finalement arrivée, elle frappa à la porte plus nerveuse que jamais et lorsque la porte s’ouvrit, elle resta figée quelques mili-secondes, avant de prendre tout à coup Popeye dans ses bras, le plus naturellement du monde.

« Pose pas d’questions. Profites de l’élan d’affection. » finalement, elle le lâcha reprenant un semblant de contenance : «  j’espère que j’te dérange pas… ? Je… Soraya m’a dit pour ta sœur. J’réalise pas, j’suis sincèrement désolée. J’voulais m’assurer que tu n’avais besoin de rien. Comment tu te sens ? »

Devant la porte, Tamara se pose mille questions. Comment c’est arrivé. Quand, aussi. Bien évidemment, toutes ces questions, ça fait un moment, qu’elle les trimbale. En réalité, depuis que Soraya lui a lancé la bombe en pleine face, sans même qu’elle ne s’y attende. Son monde s’était écroulé. Et morte de honte après cette maladresse stupide, elle n’avait pas eu le coeur à remuer le couteau dans les plaies. Et puis, dans le fond, ce n’était pas le plus important. Savoir « où et comment », ça n’allait pas lui rendre son amie. Et pourtant : dieu savait comme elle aurait aimé trouver un subterfuge. N’importe quoi qui aurait pu lui ramener sa meilleure amie, elle l’aurait fait.
Finalement, la porte s’ouvrit sur Popeye, qui semblait avoir vu un fantôme. D’abord, elle lui adressa un large sourire, avant de le prendre dans ses bras. Elle en avait besoin. Un peu d’affection. Ok, elle en avait avec sa fille. Mais ça n’était pas pareil. Elle lui avait vaguement parlé de cette histoire, mais n’avait pas insisté, de peur de trop la bousculer, de trop… de trop… trop quoi ? Telle était la question. Zazie avait beau avoir dix-huit ans, aux yeux de sa mère, elle en avait quatre. Comme au premier jour où elle l’avait serrée dans ses bras et que ses mains s’étaient perdues dans ses belles tresses caurissées. Mais à garder sa tristesse en elle, elle allait finir par imploser. Et le pire dans tout ça, c’était encore sans doute qu’elle n’imaginait pas comment son ami pouvait aller. Elle soupira, avant de lui adresser un clin d’oeil « Elle même. J’aurais espéré revenir boire un verre dans d’autres circonstances. Mais on ne choisit pas toujours… hm ? » elle haussa les épaules, l’air désolé, compatissante pour Poppy dont elle caressa affectueusement l’épaule : « je sais toujours ce dont mes amis ont besoin. J’ai un petit doigt très performant tu sais ? » lui adressant un clin d’oeil, elle avait fini par entrer, le remerciant d’avoir pris le relai. Et lui adressant un clin d’oeil, elle finit par poser ses affaires dans un coin, avant de se poser sur le canapé « j’tombe à pique, je sais, t’as jamais pu te passer de moi. » et riant légèrement, elle hocha la tête, grimaçant. Elle remercia Popeye avant de porter immédiatement sa bière à sa bouche, comme un manque, comme un besoin… oui, un besoin. Pas du genre à boire pour oublier, elle avait pourtant besoin d’un coup de pouce pour encaisser. Ou du moins, réaliser. Hochant la tête, elle opina du chef lentement avant de confirmer « Ouais. J’ai croisé Soraya à l’épicerie. Et… bordel que j’ai été conne. » elle soupire, avant de reprendre « j’ai posé la question fatidique. J’aurais du me taire. Mais jamais j’aurais imaginé… » elle prit sa tête entre ses mains, avant de soupirer de nouveau « j’ai rien osé lui demander de plus, j’me sentais tellement débile ! » et hésitante, elle finit par poser la question fatidique, consciente de ce que cela impliquait. Pourtant,elle avait besoin de savoir, et Poppy comprendrait, du moins, elle l’espérait. «  j’suis désolée de te demander ça comme ça mais… c’est arrivé quand ? »

Un bail ? c’était le moins qu’on pouvait dire. En réalité, Tamara n’aurait pas exactement su donner de date exacte pour leur dernière rencontre. Pourtant pas en froid, ils n’avaient juste pas l’habitude de se parler tous les deux jours. Tamara appréciait la compagnie de Poppy et regrettait de n’avoir pas su plus tôt. De n’avoir pas été là pour le soutenir, ou tout simplement… ben pour être là. Sans forcément parler. Juste l’écouter, être présente. Alors forcément, elle essayait peut-être, par cette visite, de rattraper un peu de ce temps perdu, même s’il était trop tard. Et puis, en toute honnêteté, il fallait dire qu’évoquer Dahlia lui ferait aussi probablement beaucoup de bien. Elle qui avait été chamboulée par l’annonce de Soraya n’avait pas encore réussi à accepter qu’elle ne reverrait jamais son amie, qu’elle s’était promis d’inviter, depuis son déménagement. Elle n’avait de cesse de se flageller à coup de «si j’avais su ». Mais elle en était consciente : avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Mais qu’adviendrait il, si Paris refusait d’entrer dans la bouteille ?

Ne sachant pas vraiment par quel bout prendre tout ça, elle se contentait de répondre aux questions de Poppy. Comment Soraya avait elle l’air d’aller ? Fallait dire que la petite cachait vachement bien son jeu : si elle n’avait rien dit à Tam, cette dernière n’aurait vraiment rien deviné. Et à raison : car Soraya n’avait vendu la mèche que lorsque Tamara eut insisté pour avoir des nouvelles de sa meilleure amie. Erreur fatale : Tamara aurait aimé disparaître, à cet instant précis. Mais depuis, cela avait soulevé quelques questions chez la brunette qui s’inquiétait pour Soraya. Après tout, si elle cachait tout cela si bien, peut-être qu’elle s’empêchait de ressentir. Peut-être que tout ça, c’était trop douloureux pour qu’elle ne puisse le gérer. Et en réalité, personne n’aurait pu lui jeter la pierre, si tel était le cas : une mère, on en avait qu’une. La perdre, c’était perdre notre monde qui volait en éclat. Tamara n’avait pas encore perdu la sienne, et espérait que cela arrive le plus tard possible : elle ne savait pas si, malgré son âge, elle aurait les reins assez solides pour supporter. Mais Soraya n’était encore qu’une enfant ! Comment surmonter ça, lorsque les problèmes de jeune adultes et les ressentis parfois contradictoires pouvaient s’en mêler ? Tam n’osait pas penser à ce qui pouvait se passer sous la chevelure de feu de la jeune femme, mais était pourtant bouleversée à l’idée qu’elle puisse supporter tout cela seule.

Prenant Popeye dans ses bras, elle se mit à lui parler de son chat. Confidence faussement naïve, mission accomplie lorsqu’elle entendit un rire s’échapper d’entre ses lèvres. Son regard se plantant dans celui de son ami, elle arqua un sourcil : « alors là, fais gaffe, tu t’attaques à gros, jeune homme. Et j’parle pas de mon derrière ! » elle lui adressa un clin d’oeil amusé, contente de constater que durant quelques secondes, elle avait réussi à le faire sourire. Rire, même dans les pires moments. Tamara n’était pas la meilleure oratrice, mais ça, elle en était la spécialiste : elle avait apprit à prendre la fuite par l’humour : rire plutôt que d’affronter. Rire, pour désamorcer. Pour ne pas devenir folle dans les situations les plus désespérées.

Son coeur se serra lorsque Popeye la reprit. Parce que derrière ses plaisanteries légères, Tamara était au bord du craquage. L’émotion lui faisait sortir des conneries plus grosses qu’elle. « excuse moi ma maladresse, Poppy... » lança-t-elle, avant de définitivement laisser échapper une larme, son coeur brisé en miettes lorsqu’il rappela ce qu’elle était pour Tam. Sourcils froncés, comme pour empêcher ses larmes de couler, elle rallongea quelques secondes l’étreinte avant de le lâcher, essuyant sa joue. Et pour se donner une contenance, elle prit sa bière. Pas qu’elle en ait envie ou qu’elle ait soif : la nausée l’étreignait toute entière ; elle était au bord de l’explosion. Regard fuyant, elle se força malgré tout à observer le rouquin, compatissante. Et portant la bouteille à ses lèvres, elle tapota amicalement sa jambe « hey, Poppy. Tombe pas dans c’piège. Avec des si, j’aurais pas divorcé, Tom ne m’aurait trompée et… j’aurais été top modèle. » elle lui adressa un clin d’oeil, reposant sa bouteille : « tu vois où je veux en venir … ? T’as pas à te sentir coupable. C’est pas ta faute. Ca s’est trouvé comme ça. On ne peut pas prévoir des choses pareilles. Et heureusement : j’crois que si on savait quand nos proches devaient partir, on deviendrait fous. N’est-ce pas ? » nerveusement, elle mordilla sa lèvre inférieure, pensive. Elle ne savait plus très bien si ces conseils, elle lui donnait, ou si elle se parlait elle même. Soupirant, elle réfléchit un court instant. « hm… ok. Je crois que j’en ai un. On était sorties toutes les deux un soir. Boire un verre, pour pouvoir nous raconter nos journées, vider nos sacs. Et surtout… partir en vrille comme on savait le faire. Après quelques verres, on était un peu… Dans notre monde je dirais. Elle m’a lancé un pari. Celui de hurler un truc en japonais dans le bar. J’voyais pas où était le mal. Alors j’l’ai fait, sans vraiment comprendre pourquoi, à quelques mètres de nous, un groupe d’asiats me regardait bizarrement. Elle ne m’a avoué que plus tard que ce que j’avais crié avec autant de persuasion dans la voix, voulait dire « fais moi l’amour sauvagement » » elle éclata de rire, revoyant la tête des clients du bar, et conclut « j’ai jamais eu aussi honte de toute ma vie, je crois. Mais… j’avais jamais autant ri, non plus. J’sais pas où elle avait apprit ça, mais c’était magique ! » ses rires s’arrêtant, elle finit par demander : « et toi… t’as un souvenir précis, de ta sœur ? Tiens, par exemple. C’est quoi la plus grosse bêtise que vous ayez faite petits? Un truc drôle ! » elle lui adressa un sourire, un peu moins crispée, et s’enfonça dans le canapé après avoir récupéré sa bière, prête à écouter son ami, à son tour.

Lorsque le malaise était trop gros, Tamara ne pouvait pas s’empêcher de tenter de détendre l’atmosphère. Mal à l’aise, elle ne supportait pas l’idée de voir ses amis souffrir. Tout comme elle ne supportait pas non plus que ses proches puissent la voir autrement que souriante. Que les autres s’inquiètent pour elle, il en était absolument hors de question. Seulement le problème dans cette discussion, c’était encore qu’il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre. Elle, était au fond du gouffre, malgré ses deux trois vannes savamment posées à l’endroit qui ferait mouche. Et en toute franchise, Popeye ne semblait pas aller beaucoup mieux… Et pour cause.
Mais malgré cet humour derrière lequel elle tente de se draper, Tamara ne peut pas faire semblant bien longtemps. Ses lapsus la trahissent. A deux doigts de craquer lorsqu’elle pense à Dahlia, elle secoue la tête : « je sais que tu l’as pas mal pris. C’est pas pour ça que je pleure. » elle grimaça et termina sa bière, cul sec, pestant, se parlant à elle même. « putain. La vie est une salope. » qu’il l’entende ? Ça ne lui faisait ni chaud ni froid car sur l’instant, perdue dans ses pensées, elle avait l’impression étrange de demeurer seule sur ce sofa. Déroutant, lorsque l’on a conscience que ce n’est pas le cas. Mais quoiqu’il advienne, elle savait pertinemment que ce n’était pas Popeye qui la contredirait.
Une fois ses larmes maîtrisées, capable de reprendre le dessus sur ses émotions, elle prit le parti de tenter de rassurer Popeye. Pas pour lui faire entendre raison : elle savait que ça n’était jamais simple, de gérer ces putains de pensées qui tournaient en boucle encore et encore dans le crâne, à longueur de journée. Mais ce qu’elle savait en revanche, c’était qu’au bout d’un moment à être en boucle, on en perdait notre objectivité. Aussi tentait elle peut-être d’apporter un nouveau point de vue à Poppy, et pourquoi pas, lui insuffler un peu de douceur, de tendresse… en tous cas, un soutien et une écoute attentive, sans jugement. Elle hocha la tête « je crois aussi, oui. Et puis t’as ceux qui chercheraient à déjouer les plans de la Mort, et ceux qui chercheraient un antidote anti-décès… du coup on serait trop sur Terre, du coup, il faudrait trouver un moyen de réguler la population… imagine le bazar ! » elle alla se chercher une autre bière, et haussa les épaules « n’empêche, ça ferait un super nanar de deuxième partie de soirée avec Steven Seagal et des explosions à la Michael Bay ! t’en dis quoi ? » Là, elle ouvrit sa bière, et soupira « plus sérieusement… tu as fait ce que tu as pu, Poppy. Je sais que c’est simple à dire, mais ne te torture pas avec ça...
La gorge serrée, elle aurait pu craquer. Mais lorsque son ami lui demanda de lui raconter une anecdote vécue avec sa meilleure amie, elle se mit à sourire, tant la joie de ce souvenir s’emparait doucement d’elle. Et une fois la meilleure histoire trouvée… elle ne réfléchit plus. Raconte à mesure que les images de son épopée ridicule lui reviennent en mémoire. Sourire satisfait lorsqu’elle découvre le sourire sur le visage de Poppy. Ouf. Au moins, se rendre ridicule quelques années auparavant n’aura pas été totalement vain. Elle arqua un sourcil « j’ai… pas cherché à en avoir. Ils n’étaient pas très beaux, ces messieurs ! » elle se mit à rire, et hocha la tête « carrément ! Ça devrait être la deuxième chose qu’on apprend, en apprenant une langue étrangère.. juste après « bonjour » ! »
Et puis ce fut au tour de Popeye de raconter une anecdote. A dix mille lieues de se douter de l’histoire qu’il lui raconterait, elle se décomposa, surprise. Mais plus l’histoire avançait, plus un sourire s’étirait sur son visage si bien que, bientôt, ses rires fusèrent, résonnèrent au fil des mots prononcés. Ce n’étaient plus des larmes de chagrin, qui roulaient sur ses joues, à cet instant précis : elle était morte de rire. Essuyant la larme qui perlait sous sa paupière, elle souffla un coup, tentant de reprendre sa respiration : « oh la vache ! Mais y’a rien qui va dans cette histoire ! Mais en même temps, ça m’étonne tellement pas de Lia ! Mon dieu, la caissière a du criser sec ! Vous avez pas été interdits de séjour dans ce magasin ? PIRE ! La caissière ?? elle a pas appelé la DASS ? Oh la vache, tu m’as tuée là ! Faut trop en faire un film ! »
Elle se mit à rire de plus belle, et prit une gorgée de sa bière. Pensive, elle continuait l’exercice. Se remémorant, peut-être malgré elle, tous ces bons moments qu’elle avait vécus avec Dahlia. Se dire qu’elle ne pourrait jamais en vivre d’autres lui fendait le coeur. Mais en même temps, elle se sentait reconnaissante envers la vie qui lui avait permis de vivre tout ça. Le hasard les avait faites se trouver, s’apprécier comme deux sœurs, et rien que pour ça, Tamara était heureuse ; Elle se sentait chanceuse.
A cet instant, elle fut sortie de ses pensées par Popeye, et elle hocha la tête « je crois en effet, que tu es sur la bonne voie. Ca va aller Poppy. Ta sœur… c’était quelqu’un de génial. Il faut qu’on s’en sorte... on lui doit bien ça, non ?» qu’elle souffla timidement, avant de se laisser retomber contre le dossier du sofa…

Elle avait beau se sentir conne, elle se sentait tout de même un peu plus légère, à mesure que le temps passait. Non, elle n’était pas moins triste ! En réalité, c’était le contraire. Et comment cela aurait-il pu en être autrement ? Elle venait de perdre une amie. Pire encore, une sœur. Peut-être pas une sœur de même sang, mais c’était tout comme. Dahlia avait toujours énormément compté pour Tamara qui aujourd’hui se sentait comme amputée. Mais en parler avec le frère de celle-ci, en revanche, l’aidait. Après tout, nommer, c’était faire exister. Et l’espace d’un instant, elle avait l’impression idiote que l’on lui rendait son amie. Un tout petit peu. Pas physiquement bien sûr. Mais elle prit conscience que jamais personne ne pourrait lui enlever ses souvenirs avec elle. Et ça, ça n’avait pas de prix.
La discussion se poursuivit. Sur tout et rien, tantôt sérieusement, tantôt dans l’amusement et la folie, la logique parfois dure à suivre et l’imagination débordante de la créatrice de vêtements qui était subjuguée par l’histoire de Poppy. Elle ne l’avait pas connue enfant, mais de ce qu’elle entendait, elle pouvait confirmer ce qu’elle savait déjà. Tout au long de sa vie, Dahlia n’avait pas perdu son âme d’enfant. Et ça rendait Tamara rêveuse. Elle espérait qu’un jour, on puisse dire la même chose d’elle. Ne jamais se perdre en route. Et toujours s’amuser : on ne savait jamais de quoi demain était fait, et Popeye avait raison : pour le moment, aucun remède n’avait été trouvé à la mort, alors autant en profiter avant l’orage… Un peu comme ils le faisaient ce soir, pour la plus grande surprise de la demoiselle, qui, avant de venir, ne savait pas vraiment à quoi s’attendre : après tout… rire après avoir appris la mort d’un proche, ce n’était pas l’évidence même. Pour autant, elle ne s’était pas imaginée pleurer dans les bras de Popeye non plus, sur le pas de sa porte. Leurs histoires respectives terminées, elle lui expliqua rapidement qui étaient les deux stars du kitch qu’elle avait évoquées. Si Poppy ne les connaissait pas, ce n’était pas une grosse perte. En même temps, il fallait bien admettre que si sa fille ne lui avait pas montré ces nanars, elle n’en aurait probablement jamais entendu parler… Les bières s’amoncelèrent à mesure que le temps passait. La soirée passa sans que les deux compères ne s’en rendent réellement compte, la discussion continuant, parfois ponctuée de légers silences, jamais gênants : c’était l’avantage d’être en compagnie de gens que l’on aimait : on avait pas besoin de se parler, pour se comprendre. Seulement voilà : toutes les bonnes choses ayant une fin, Tamara dût partir. A regrets : elle qui avait hésité un moment avant de débarquer, ne voulait a présent plus lâcher son ami, qu’elle prit dans ses bras, bienveillante. «  on se revoit vite mon Poppy ? » forme de promesse interrogative. Elle ne voulait pas s’imposer, mais ne voulait pas perdre contact avec lui non plus… Une fois l’épreuve des adieux passée, elle se fit violence et rentra chez elle. La nuit serait courte, elle en était consciente, en voyant ses pensées fuser dans tous les sens, toutes tournées vers son amie disparue. Mais elle voulait au moins être présente pour le réveil de sa fille, son rôle de mère reprenant bien vite le pas sur celui d’amie qu’elle avait endossé toute la soirée…