Shake it off •• Amalrik

Amalrik & Sinéad

Shake it off

La fête bat son plein. La musique résonne un peu plus fortement au dessus du dancefloor. Sinéad ondule sur la piste et la sirène attire quelques mâles dans ses filets. L’alcool danse dans ses veines et embrume son esprit. La soirée a été bien arrosée, peut-être même un peu trop. Un besoin de décompresser s’est fait ressentir. La pression accumulée au cours de ces derniers mois est arrivée à saturation et cela fait maintenant plusieurs soirs que la suédoise abuse sur la boisson et les sorties. Il faut dire que les mauvaises nouvelles et les drames se sont accumulés ces derniers temps et il n’est jamais très bon de tout garder pour soi. Fini de se torturer l’esprit, fini de cogiter et de ressasser le passé. Il ne peut être changé alors à quoi bon ruminer ? La coupe est pleine et le moyen le plus efficace de se vider l’esprit, c’est de boire. Boire et boire encore. Rencontrer du monde et ramener quelques personnes dans son lit pour passer du bon temps. Voilà à quoi se résument les soirées de Sin ces derniers temps.

Ce soir ne fait pas exception. Elle n’a besoin de personne pour sortir alors ça ne lui pose aucun problème d’arriver seule dans un bar. De toute façon, elle trouve toujours de la compagnie rapidement. La jolie blonde sait parfaitement jouer de ses charmes pour attirer les autres à elle. Homme ou femme, peu lui importe. Ce soir, il semble que ce soit des individus de la gente masculine qui s’intéressent à elle. Deux hommes, visiblement jeunes, dansent collés serrés avec elle sur la piste de danse. Deux pour le prix d’un, pourquoi se priver ? Même si sa tête tourne et que ses réflexes ne sont plus aussi efficaces qu’à l’accoutumée, l’état d’ébriété de Sin ne l’empêche pas de se déhancher. Le sourire plaqué sur les lèvres et le rire facile, elle s’amuse suffisamment pour oublier ses tourments.

Cependant, à force de boire, elle est prise d’une envie pressante. Si sa descente n’a pas de limite, ce n’est pas le cas de sa vessie. S’excusant brièvement auprès de ses deux acolytes de soirée, elle se libère de leur emprise pour se faufiler parmi la foule présente dans le bar. Il y a du monde ce soir et la manœuvre n’est pas évidente. Sinéad manque de se rétamer plusieurs fois et elle finit par bousculer un homme sur son chemin. Déséquilibrée, elle se raccroche à lui pour ne pas tomber, son rire témoignant aisément de son état d’ébriété avancé. Accrochée au vêtement de son rempart, elle relève la tête en gloussant pour regarder le visage de celui qu’elle vient de percuter. Quelle n’est pas sa surprise de tomber sur un visage familier. Aussitôt, un grand sourire fleurit sur ses lèvres alors qu’elle glisse ses doigts sur sa joue et dans sa barbe. « Almariiiik ! » Raté. « Amlarik, non. » Encore raté. Son prénom est bien trop compliqué à prononcer dans son état. « Riiik ! Rik ça t’va bien, c’est un prénom de beau gosse comme toi ! » Le sourire étirant le coin de sa lèvre, elle glisse son doigt sur la lèvre inférieure de son ami. « J’suis contente de tomber sur toi tiens ! » Littéralement, pour le coup. Ses doigts descendent le long de son cou pour revenir agripper ses vêtements. C’est plus simple pour tenir en équilibre puisque maintenant qu’elle ne danse plus, tout tourne beaucoup plus vite autour d’elle, étrangement. « Qu’est-ce tu fais là, trésor ? » Sinéad bourrée, c’est son caractère tactile et taquin qui est décuplé. Amalrik n’a sans doute pas eu beaucoup l’occasion de la voir dans cet état. Il faut dire aussi qu’à la base, la mécano est une amie de son frère. Même s’ils s’entendent bien tous les deux, ils ne passent pas énormément de temps ensemble. La suédoise voit bien plus souvent Sorën que lui. Ça n’empêche pas qu’elle apprécie tout autant le petit frère. « Tu veux boire avec moi ? » Comme si elle n’a pas encore assez bu. Toujours plus.

Amalrik & Sinéad

Shake it off

La colère. Cette émotion dévastatrice, comparable à un tsunami qui emporte tout sur son passage, y compris la plus raisonnable des sagesses, ne cesse de croître à l’intérieur de tes entrailles depuis plusieurs nuits. La rage au ventre, tu utilises tous les stratagèmes possibles et inimaginables pour éviter soigneusement la présence nuisible de Sören dans ton environnement. Tantôt tu travailles trop, tantôt tu t’évades dans les soirées endiablées comme celle-ci pour ne plus croiser son regard emplit de mensonges et de jugements. C’est la première fois, d’aussi loin que tu te souviennes, que tu éprouves une telle tristesse, mélangée à un dangereux volcan, à l’intérieur de ton âme. Le mensonge est bien un défaut que tu n’acceptes aucunement. Tu as alors pris les propos de ton aîné comme une ultime trahison portée à la fratrie, au point où tu songes sérieusement à abandonner le doux nid douillet familial que vous formiez, autrefois, tous les quatre. D’autant que tu n’es pas dupe : tôt ou tard, Isabel sera présente dans vos vies. Il n’en faudra pas plus à ce grand idiot pour vous abandonner à son profit. Autant prendre les devants, n’est-ce pas, Amalrik ? Pourtant, tu ne t’y résous pas. Tu as beau cliquer sur les petites annonces immobilières et les recherches de colocation, rien ne te satisfait réellement. A croire que tout te ramène toujours « chez-toi ». Hélas, tu n’as pas l’intention de rester passif encore « ad eternam ».

Pour tenter vainement de te changer les idées, tu es décidé à te rendre dans les endroits les plus intéressants de la ville, du moins pour ne plus songer à rien. Et à boire. Beaucoup. Trop. Tu t’enivres jusqu’à ne plus te souvenir comment tu t’es retrouvé dans une chambre de motel, en « bonne » compagnie ou seul. Parfois, cela dit, tu es plus ou moins en conscience de tes gestes et de tes désirs, fort heureusement. Mais les gueules de bois s’enchainent inévitablement, depuis plusieurs semaines, et cela finira sans nul doute par te cause des ennuis tôt ou tard. En attendant, tu es bien décidé à poursuivre ta douce aventure nocturne et de porter des dizaines de verres remplis d’alcool jusqu’à ta gorge, brûlée par les liquides.

Hélas, comme tous les êtres humains normalement constitués, tu as dû automatiquement couper ta cession de « qui boira le plus » avec tes camarades de beuverie pour te rendre au petit coin. En y ressortant, titubant légèrement, tu percutes une femme à la chevelure blonde. En fronçant tes yeux pour mieux l’apercevoir, tu constatas qu’il ne s’agissait pas d’une inconnue mais de la meilleure amie de Sören. Elle semble te reconnaître. Cependant, elle bute totalement sur ton prénom – pourtant pas si difficile que ça. « A-M-A-L-R-I-K. » rétorques-tu, espérant qu’elle enregistre plus aisément ton identité, sans succès. A la place, l’ultra-sexy demoiselle préfère te donner un surnom affectueux qui t’enchante. Tu lui souris, vraisemblablement conquis. « Tu as raison: Rik c’est bien aussi! » réponds-tu, un peu trop fort sans doute, en riant de bon cœur. A croire que tu allais adopter ce nouveau prénom improvisé lors d’une soirée alcoolisée. Elle t’explique être contente de tomber sur toi – littéralement puisqu’elle s’agrippe désormais à ton t-shirt. « Ca me fait plaisir de te voir aussi, Sinéad. » lui confies-tu, arborant un sourire charmeur en réponse au fait qu’elle t’a tout de même dit que tu étais « beau gosse » quelques secondes plus tôt. Cela te suffit, pauvre idiot, à songer que tu pourrais lui plaire – si tant est qu’elle demeure ivre. Car, bien que tu la connaisses quelque peu, jamais elle n’aurait posé ses incroyables yeux sur ta silhouette si elle fut sobre. Sauf pour te dire poliment bonjour.

Elle se questionne sur la raison de ta venue ici. A en juger par vos deux états déplorables, il n’y a guère besoin de chicaner ou d’émettre de théories invraisemblables. « La même chose que toi, j’imagine: je picole! » répondis-tu, sans te dissimuler derrière de faux-semblants. Tu cherches à oublier, tout comme elle, des événements récents qui te blessent. Elle te propose alors de devenir son camarade de boissons, ce que tu ne peux décemment point refuser. « Ouaip! Mais tu ne devais pas aller aux WC, avant? » l’interroges-tu, puisqu’elle se rendait apparemment en face et qu’il n’y avait pas vraiment de sortie de secours à cet endroit. Malgré ton état d’ébriété, tu parvenais tout de même à déduire quelques éléments simples de l’existence des autres. « Je t’attends si tu dois y aller. » lui proposes-tu humblement, histoire qu’elle ne se retrouve pas à te chercher partout une fois son affaire terminée. A moins qu’elle n’ait plus envie, pour le coup. Et puis, comme ça, si jamais elle mettait trop de temps à revenir, tu irais voir si elle ne s’était pas évanouie (ou pire)…

Amalrik & Sinéad

Shake it off

Avec de l’alcool dans le sang, la perception des choses est différente. Le monde parait plus flou, moins stable. Le cerveau ne fonctionne plus comme il le devrait. Des choses banales deviennent compliquées comme cette faculté à se souvenir d’un prénom pourtant simple en temps normal. Sa capacité à articuler est défaillante, couplée à sa mémoire qui refuse de coopérer et cela donne un résultat surprenant. Sinéad a beau s’y prendre en plusieurs fois, elle ne parvient pas à prononcer le prénom de son ami correctement. Alors, elle emploie un raccourci. A quoi bon se casser la tête quand on peut gagner du temps ? Amalrik épelle son prénom mais rien n’y fait, il refuse de s’imprimer dans son esprit embrumé et noyé sous les effluves de l’alcool. Tant pis, Rik c’est bien aussi.

Tout sourire, elle s’accroche à son t-shirt et ancre ses prunelles claires – et sans doute un peu rougies – aux siennes. Quelques banalités échangées et il affirme être lui aussi heureux de croiser son chemin. C’est une bonne chose qu’ils soient tous les deux satisfaits de cette rencontre. Peut-être que la soirée prendra une tournure différente et plus amusante en compagnie d’un ami. Etant donné qu’ils sont ici pour les mêmes raisons, qui plus est. « Cool ! Ça fait du bien de picoler un bon coup de temps en temps ! » Surtout au point de rouler sous la table ? Sin n’en est pas encore à ce stade mais elle s’en rapproche. Il serait peut-être temps de lever un peu le pied. Pourtant, la perspective de boire en compagnie d’Amalrik l’enchante et elle en oublie déjà les personnes qui l’accompagnaient il y a peu – ou plutôt qui se frottaient à elle sur la piste de danse. « Ah oui ! » L’illumination la frappe, elle devait bel et bien se rendre aux toilettes avant de tomber sur lui. « Bien vu l’artiste ! » Elle ne peut s’empêcher de glousser en desserrant doucement ses doigts pour lâcher le tissu. Non, elle ne peut pas l’emmener avec elle. C’est presque dommage. En véritable gentleman qu’il est, Am lui propose gentiment de l’attendre ici. Surprise mais contente tout en même temps, un grand sourire illumine son visage. « T’es le meilleur, tu le sais ça ? » Un clin d’œil dans sa direction et elle vient déposer un bisou sur sa joue avant de s’écarter de lui. « Tu bouges pas, hein ? » Pas d’un pouce, sinon elle aurait du mal à le retrouver.

Tant bien que mal, elle contourne son ami et se dirige non sans peine vers les toilettes des femmes. Evidemment, elles ne sont pas vides. Quelques personnes sont déjà présentes, penchées au dessus des lavabos pour réajuster leur maquillage. Sinéad ne leur prête aucune attention et s’engouffre dans une cabine vide pour soulager sa vessie. Ce n’est pas de tout repos et elle manque de perdre l’équilibre plusieurs fois mais elle parvient à s’en sortir sans encombre. Sa robe correctement réajustée, son sac de nouveau sur son épaule, elle se dirige vers un lavabo pour se laver les mains. Dans le même temps, elle jette un œil dans le miroir pour une petite inspection. Malgré son état, elle constate avec une certaine satisfaction que son maquillage tient le coup et que ses cheveux se tiennent toujours plus ou moins bien. Pas d’extravagance à ce niveau là de toute façon, ils sont simplement lâchés et laissés en totale liberté. Elle essuie brièvement ses mains et elle quitte la pièce pour retourner dans la cohue et le brouhaha général du bar. Comme promis, Amalrik n’est pas très loin. Le sourire de nouveau affiché sur ses lèvres, elle le rejoint pour s’accrocher à son bras. « Me voilàààà ! J’ai pas été trop longue je crois. » Dans son état, elle a été plutôt rapide, effectivement. « On va s’installer où, mon chaton ? » Les surnoms affectifs, une habitude quand elle est bourrée. Quant à savoir où aller, au comptoir ? A une table ? Plusieurs possibilités à vrai dire. Dans tous les cas, elle le suit. « J’ai envie un cocktail avec des fruits. Un truc avec un tout petit parapluie ! » Même si elle devrait ralentir le rythme et se contenter d'une limonade. Qu'importe, ce soir il n'y a pas de limites.

Amalrik & Sinéad

Shake it off

Cette soirée, plutôt monotone jusqu’à cet instant précis, prenait une tournure des plus agréables. Rencontrer Sinéad, ici-même, te ravissait au plus haut point. Bien qu’elle soit la meilleure amie de Sören et que ce n’était pas la joie entre vous deux, tu ne pus réprimer un sentiment de satisfaction intérieur, qui s’exprima par un sourire sincère qui se dessinait sur tes lèvres amusées. Evidemment, son comportement démontrait à quel point elle était avinée – mais tu n’en étais guère loin également. Forcément, cela te désinhiba plus que d’ordinaire, toi qui étais plutôt pudique sur tes émotions. Tu ne pus t’empêcher de remarquer à quel point elle était magnifique, en dépit de son manque de sobriété. Cela dit, tu ne devais pas être le seul à la trouver désirable : beaucoup d’hommes la cherchaient du regard. Sinéad était ce genre de femme dont la beauté demeurait la même, malgré les années passées. Quiconque prétendrait qu’elle était « banale » s’avérait être un doux menteur. Plus âgée que toi, cependant, tu ne te leurrais pas : elle était inaccessible pour le petit ambulancier que tu étais. Aussi préférais-tu rester son camarade de soirée plutôt que de la draguer ouvertement. Elle méritait un meilleur traitement que ça, Sinéad. Alors, en digne chevalier des temps modernes, tu lui proposas de patienter jusqu’à son retour des toilettes pour dames. Ce qu’elle accepta tout en t’intimant de rester dans les parages. « Promis, je ne bouge pas. » répondis-tu en hochant docilement la tête, tandis qu’elle s’engouffrait dans la foule pour atteindre son objectif immédiat. Après tout, ce n’est pas comme si tu aurais pu te mouvoir ailleurs : tes jambes titubent légèrement et ta tête tourne depuis quelques minutes déjà. Certaines de tes connaissances, qui passèrent à leur tour, te saluèrent avec bienveillance et vous échangeâmes des banalités. Rien de très extravagant, mais cela te permit de ne pas te montrer impatient. Toutefois, la blonde réapparut plus tôt que tu ne te le serais imaginé. Tu souris en la découvrant à nouveau dans ton champ visuel, tandis qu’elle effaçait toutes les autres âmes de la pièce. Elle était rayonnante, même au summum de sa détresse alcoolisée. « Aussi rapide que l’éclair ! » répliquas-tu à son interrogation, en riant de bon cœur. Tu lui aurais bien parlé de « Flash », le fameux super héros, mais tu n’étais pas sûre qu’elle ait la référence. Et puis, cela t’aurait sans doute fait passer pour le grand enfant que tu étais, au fond de toi. Sauf que, ce soir, tu essayais d’être un gentleman – ou ce qui s’en rapprochait le plus. Elle parut s’inquiéter de trouver une place confortable. Tu plissas les yeux, à la recherche d’un endroit paradisiaque, lorsque ton regard s’accrocha sur un couple qui semblait quitter son nid. Tu l’attrapas par la main, afin de l’emmener avec toi. « Y’a l’canapé, pas loin, lààààà ! » fis-tu, enjoué, avant de l’entraîner dans la foule sans la lâcher, par peur qu’elle se perde, qu’elle s’en aille ou qu’il lui arrive des bricoles. Il ne vous faut heureusement guère de temps pour parvenir à destination et personne ne parait avoir remarqué ce divin meuble rembourré. Sans tarder, tu déposes ton postérieur dessus, tandis que le canapé daigne t’engloutir à moitié tant il est mou. Une fois dessus, il sera difficile de se redresser. Tant pis ! Tu resteras là. Avec elle. Tu détournes ton visage, alors, pour mieux le contempler. « Aloooors. Racoooonte : quoi de neuf dans la vie de la magnifique Sinéad ? » lances-tu joyeusement, sans remarquer la présence de la serveuse – visiblement stressée. La pauvre blonde n’a pas le temps de te répondre qu’il faut passer commande. Cela dit, tu te permets d’exécuter cette tâche pour elle, bien que ce sera maladroitement. « Deux cocktails avec des parapluies ! S’il vous plait. » la demoiselle te regarde, dubitative, mais prend bonne note. Peut-être a-t-elle une idée de ce dont Sinéad semblait avoir envie, trois minutes plus tôt. Peut-être pas. Quoiqu’il en soit, tout ce qui t’importait était que la trentenaire soit satisfaite. Et tu t’y employais, du mieux possible.