Putain de mécanique de merde - ft. Sinéad

Il a su dès que son réveil a sonné ce matin qu'aujourd'hui serait une mauvaise journée. Et il ne s'est pas trompé. Kieran avait pris la voiture de service pour rejoindre des collègues sur le terrain. Il avait encore du mal à se faire à son nouveau grade d'inspecteur où il avait autant de temps à l'extérieur que derrière un bureau. Normalement, il devrait être plus sur le terrain dans les semaines à venir mais il avait d'abord besoin de prendre ses marques avec la brigade et son nouvel environnement. Certaines choses étaient différentes entre la Nouvelle Orléans et Washington. Heureusement, l'équipe avec laquelle il travaillait l'intégrait relativement bien, ce qui lui permettait de ne pas trop se soucier de cela.

Il avait géré plusieurs détails administratifs le matin même et alors que la pause de midi approchait, il avait été appelé par des officiers ayant besoin de lui sur le terrain. Ni une, ni deux, il avait pris une voiture de service dans l'espoir de rouler jusqu'à l'intervention en cours. Un accident de voiture assez grave sur la nationale qui se trouvait à 15 minutes de là. Bien sûr, c'était sans compter sur un bruit suspect du moteur qui le faisait froncer les sourcils. Kieran n'y connaissait rien en mécanique et même si le bruit l'inquiétait, il continuait de rouler. Grave erreur.

Un énorme bruit l'obligeait à se garer aussitôt sur le bas côté, d'autant plus qu'une fumée grise épaisse s'échappait du capot. Kieran lâchait un juron. « Putain de mécanique de merde. » Il prend son téléphone et appelle directement la dépanneuse du garage le plus proche. Déjà qu'il vient de faire une boulette, il n'essaye même pas de toucher à la voiture. Il sait qu'il ne va faire qu'aggraver la situation. Heureusement pour lui, le garage répond rapidement et lui envoie quelqu'un pour récupérer la voiture et le conduire par la même occasion jusqu'au "Woodley Garage" de Adams Morgan.

À l'intérieur de la dépanneuse, il ne la ramenait pas trop, sa fierté en prenant toujours un coup quand il avait des problèmes de mécanique et qu'il ne savait pas répondre aux questions qu'on lui pose. Avec toujours cette certitude des gens que parce qu'il est un homme et biker en plus de ça, il sait systématiquement de quoi on lui parle. La réalité est bien différente. Mais ce problème de voiture va bientôt être loin d'être sa préoccupation principale. Une fois arrivé au garage, le dépanneur demande à Kieran de se rendre à l 'accueil pour être mis en relation avec la mécanicienne pendant que lui va partir en pause repas. Kieran attend sagement à l'accueil comme on lui a demandé, passant, pendant ce temps, des coups de fil pour alerter la capitaine de la brigade des problèmes qu'il a eu avec le véhicule de service. Il a déjà prévenu les officiers tout à l'heure pendant qu'il attendait la dépanneuse, il espère qu'ils pourront se débrouiller sans lui. Kieran raccroche ensuite son téléphone et attend en observant autour de lui. Attendant qu'on vienne lui parler pour notamment lui expliquer si le problème de moteur est grave ou non.

Il continue d’observer les moindres recoins du garage en attendant qu’on vienne lui expliquer le problème sur sa voiture de service. Difficile de ne pas savoir que la voiture lui appartient puisqu’il est habillé dans son uniforme de policier. Il faudrait être soit bête soit complètement aveugle pour ne pas faire le lien entre lui et la voiture qui a été amené par la dépanneuse. Pourtant, la mécanicienne arrive quand même à lui demander pourquoi il se tient à l’accueil. Et ce n’est pas pour n’importe quelle raison. Cette mécanicienne, ce n’est pas n’importe qui.

Lorsqu’elle est apparue devant lui, Kieran a cru que le monde s’effondrait autour de lui. Ce visage, il le connaît par cœur. Cette femme hante encore ses pensées régulièrement depuis qu’elle est partie comme une furie de chez lui après l’avoir découvert dans le même lit que son ex. Il ne s’était rien passé entre eux. Kieran avait juste réconforté cette femme qu’il a aimé autrefois. Selon lui, on ne doit pas oublier son passé et rejeter ses ex si les choses se terminent en bon terme. Ce soir-là, elle était triste, elle avait besoin de lui et il était là. Il ne s’est rien passé entre eux. Aucun contact physique en dehors des câlins réconfortants. Aucune pensée déplacée. Juste un soutien moral comme il aurait pu en offrir à n’importe qui d’autre qu’il appréciait. Mais Sinéad était arrivée au mauvais moment et avait mal interprétée la situation. Kieran ne connaissait cette blonde au caractère de feu que depuis trois mois. Ça avait largement suffit pour qu’il s’attache à elle. Et voilà qu’elle disparaissait en lui annonçant qu’elle était enceinte de lui. Pour finalement ne plus jamais accepter d’être en contact avec lui. Ça avait été une sacrée claque. Et après de nombreuses tentatives de l’avoir au téléphone ou de la revoir et avec les nombreux refus de Sinéad, il avait choisi d’accepter sa décision, même si cela voulait dire aussi le briser intérieurement de ne plus la voir et de ne pas voir son enfant naître et grandir. Pourtant, il n’y avait pas eu un jour où Kieran n’avait pas pensé à eux. Les imaginant ensemble et projetant l’image de ce qu’ils auraient pu être tous les trois.

Alors quand il avait revu ce fantôme du passé arriver sous ses yeux, il était resté silencieux la fixant. Se demandant si elle était réelle ou si c’était juste le fruit de son imagination d’avoir tant espéré la revoir un jour. Après quelques instants de silence, des mots parviennent enfin à franchir la barrière de ses lèvres. « En fait je sais conduire. C’est le moteur de la voiture qui s’est mis à cramer. Je pensais que tu étais compétente dans ton travail mais visiblement je me suis trompé. » C’est comme ça qu’avait débuté leur relation à l’époque, à coup de pique pour emmerder l’autre. Mais si à ce moment-là, ça sonnait surtout comme une taquinerie, le choc de revoir Sin faisait sonner sa phrase comme un reproche. Pourtant, l’attention n’était pas d’en faire un… Kieran était juste maladroit, comme ça lui arrivait souvent. Il rebondit aussitôt sur sa phrase pour se rattraper en réalisant à quel point sa phrase sonnait négativement. « Par contre, il y a une chose qui n’a pas changé. Je pense toujours que tu es canon. » Deuxième maladresse. Bordel Kieran, t’es sérieux ? C’est le pire moment choisis là. Mais dans un sens, il le pense sincèrement. Elle n’a pas changé, elle est toujours aussi belle. Et c’est pour cette raison qu’il perd ses moyens. Il a peur qu’elle prenne la fuite à nouveau et qu’elle ne lui laisse aucune chance de s’expliquer. Il soupire avant de se reprendre. « Oublie ce que j’ai dit. On recommence ? » Kieran fixe celle qu’il sait être la mère de son enfant. Il a envie de lui poser des milliards de questions mais il se retient. Il veut la respecter, sans l’oppresser. Néanmoins il connaît le caractère de Sinéad. À tout moment, elle peut exploser et lui demander de dégager de son garage.

Kieran était un abruti. Un putain d’abruti de merde. Il s’en voulait dès l’instant où les mots avaient franchies la barrière de ses lèvres. Et c’est comme ça qu’il voulait renouer contact avec elle ? Et bien parfait, il fallait qu’il continue comme ça et elle lui défoncerait la gueule. Le pire ? Il le mériterait sans doute après avoir eu un pareil comportement. Cette femme le rendait fou. Il y avait trop pensé depuis leur rencontre. Elle n’avait pas quitté son esprit et il avait imaginé tellement de fois ce qu’il pourrait lui dire s’il la recroisait qu’il en devenait profondément con.

À cet instant, il aurait pu s’excuser mais il connaissait Sin. Ajouter quelque chose signerait son arrêt de mort et c’était préférable qu’il se taise. Au lieu de ça, il se gratte l’arrière du crâne et il se maudit intérieurement alors qu’il la suit de l’autre côté du garage, dans l’atelier pour rejoindre son véhicule de service. Kieran écoute désormais la mécano d’une demi oreille. Pas qu’elle ne l’intéresse pas, mais c’est parce qu’il est trop occupé à chercher dans sa tête un moyen de se racheter auprès d’elle. Une chose est sûre, il va devoir ramer. Comme si ce n’était pas déjà le cas…

Quand elle l’interroge sur ce qui s’est passé avec la voiture. Il se sent alors très bête. Son ego masculin en prend un coup. Il n’y connaît rien en voiture. Kieran tente de garder une attitude calme mais il bafouille un peu bêtement. On a imaginé mieux comme retrouvailles. « Bah euh… En fait je… La voiture faisait un bruit bizarre. Je roulais sur la nationale, normal. J’ai pensé que c’était rien de grave et quand de la fumée grise épaisse est sortie du capot, je me suis arrêté. » N’importe qui se serait arrêté bien avant en entendant des bruits anormaux mais lui non. Une voiture, s’est fait pour tenir la route normalement. Et puis les voitures de flics sont utilisées par pas mal de monde, il pensait que ce n’était rien de grave, tout simplement. S’il avait été avec sa moto, il n’aurait rien compris mais il n’aurait pas réfléchi plus loin et il se serait arrêté directement. Kieran n’aurait jamais pris de risque avec son petit bijou. Il finit par hausser les épaules, mettant sa fierté de côté pour tenter de faire un pas vers elle. « Tu sais à quel point j’ai du mal avec la mécanique… » Il lâche un léger rire qui aurait pu détendre l’atmosphère si elle n’était pas aussi glaciale. Au final, ce rire était surtout nerveux. Le lieutenant se sentait complètement démuni face au regard fermé de Sinéad. Putain qu’est-ce qu’il regrette comment ça s’est terminé entre eux. Tout ça pour un foutu malentendu de merde.

Plus Kieran parle, plus Sinéad est agacée par sa présence. Il le sent bien, il n'est pas bête. Mais cette situation le met de plus en plus mal à l'aise, et provoque donc une maladresse encore plus importante à chaque fois qu'il tente de parler. La blonde en profite pour le tacler et il reste bête. Il n'a pas envie de lui répondre et d'envenimer plus les choses. Il a bien compris que chacun de ses mots ne sortaient pas comme il l'aurait voulu alors il préfère se taire pour le moment. Même s'il remettra sans doute les pieds dans le plat plus tard.

Finalement, il l'écoute dérouler son diagnostic. Les yeux de Kieran ne sont pas vraiment sur la voiture mais surtout sur cette femme à laquelle il n'a cessé de penser depuis tout ce temps. Était-ce vraiment elle qui le rendait ainsi ? Ou le fait qu'elle élève son enfant jouait un rôle dans cette histoire ? Kieran l'ignorait. Il n'était pas très doué pour comprendre ses sentiments. Mais ce qu'il savait, c'est qu'il n'avait jamais été aussi complice avec une femme qu'avec Sinéad à l'époque. La revoir éveillait en lui des désirs refoulés pendant longtemps. Il avait envie de sentir son corps contre le sien. Et il avait envie de prendre soin d'elle. Tout ça n'était pas qu'une histoire sexuelle. Mais il devait reconnaître la vérité : elle ne voudrait plus jamais de lui. Elle était trop bornée pour accepter que tout ça n'était qu'un malentendu.

Il finit par revenir à la réalité. Il n'a entendu que la moitié du discours de la jeune femme. De toute façon, même s'il avait écouté, il n'aurait rien retenu. Il tente alors de reprendre des éléments qu'il a entendu, pour se donner un genre. « Je t'assure qu'aucun voyant ne s'est allumé. Je me serais arrêté tout de suite sinon. » Pas sûr en fait... Il aurait aussi très bien pu se dire que ce voyant ce n'était pas grand chose et continuer à rouler. Heureusement il ne mentait pas en disant que sur ce coup, il n'y avait pas eu de voyant. Il ajoute alors : « Tu penses qu'il va y en avoir pour combien de temps pour les réparations ? » Si ça durait longtemps, il pourrait très bien appeler un collègue pour qu'il passe le récupérer. En réalité, il espérait que ça ne dure pas très longtemps mais suffisamment pour que ça lui donne une excuse de rester ici, à discuter avec Sinéad.

Kieran était d'ailleurs peut-être trop impatient pour ça, c'est pour ça qu'il enchaînait sur une remarque, qui risquait d'agacer la jeune femme, il en avait conscience. Mais il n'avait pas pu se retenir. Parce qu'il mourrait de savoir, ça le rongeait de l'intérieur. « Avant de me répondre que ça ne me regarde pas, laisse moi poser ma question. Je... j'ai pas arrêté d'y penser pendant tout ce temps. Ça me ronge Sin. Et je pense que j'ai le droit de savoir. » Il plonge son regard dans le sien pour jauger sa réaction et avant qu'elle ne lui offre une réplique cinglante, il met les deux pieds dans le plat. À nouveau. « Comment vas-tu ? Vraiment. Et comment va notre...enfant ? » Oh il l'avait imaginé cet enfant. Grandissant, évoluant dans ce monde sans son père. Il savait même qu'il aurait dû avoir un peu plus d'un an à l'heure actuelle si ses calculs étaient corrects. Il s'était parfois imaginé une fille, parfois un garçon. Mais ce que risquais de lui apprendre Sin, ça, il n'avait jamais pu l'imaginer.

Quand il pose cette question, c'est à cause de son impatience de savoir comment va son enfant. Même s'il ne la pas élevé, il a participé inévitablement à sa conception. Il mérite d'avoir des nouvelles de cet enfant qu'il n'a pas vu grandir jusqu'à présent. Il a toujours respecté les choix de Sin de le tenir éloigné de lui. Il a accepté qu'elle refuse de lui parler, il a accepté qu'elle ne le crois pas quand il a tenté de se justifier. Il a accepté cette gifle quand elle a quitté son appartement il y a des mois. Mais il ne peut plus tenir sans savoir. C'est plus fort que lui... Alors il profite de cet instant pour foncer, pour poser la question qui le ronge depuis trop longtemps.

Lorsque les couleurs du visage de Sinéad s'effacent, il se prépare à être giflé, d'une seconde à l'autre. Il se prépare à subir la coulère de la blonde. De cette femme qui semble le détester profondément, ce qui le rend fou car elle n'imagine pas à quel point cela est injustifié. Quand il a rencontré Sin, ça a été un coup de foudre. Il a été tellement attiré par elle qu'il s'est senti terriblement chanceux qu'elle rentre dans son jeu de taquinerie. Normalement, Kieran couche avec les femmes qu'il trouve attirante puis ça s'arrête là, mais Sinéad la bouleversée bien plus qu'à travers une attirance physique. Mais comme Kieran est incapable de parler de ce qu'il ressent, il n'a jamais été en mesure de lui dire tout ça. Puis il y a eu ce foutu malentendu et elle a disparue en lui annonçant qu'elle était enceinte. Comment est-ce possible de ne pas devenir complètement fou après ça ? Et voilà qu'à présent, il se prépare à recevoir toute sa colère, encore une fois...

Mais s'il ne s'attendait pas à une chose en particulier, c'était aux larmes de la belle. Tout à coup, il se sent con. Con de la faire pleurer. Con de la voir dans cet état là. Et surtout... Il se prend en pleine gueule la révélation qui va avec ses larmes. Dès qu'elle a prononcé son prénom, de cette voix tremblante, Kieran a compris. Elle est allé jusqu'au bout de ce qu'elle essayait de dire mais il avait déjà compris. Cette douleur dans sa poitrine... Ce déchirement intérieur. Il ne pensait pas le vivre à cet instant précis. Il s'attendait à avoir des nouvelles qui lui réchaufferaient le coeur. Si Sin avait été généreuse, il aurait peut-être même eu le droit à quelques photos. Mais non... Non seulement son enfant n'était plus là, mais il n'avait même pas eu la chance de venir au monde et de vivre des instants avec sa mère. Kieran réalisait qu'il ne connaîtrait jamais cet enfant. Et il culpabilisait pour quelque chose d'encore pire : il n'avait pas pu être présent pour Sinéad dans cette épreuve.

Après le choc, il réalisait qu'il était resté immobile quelques instants, comme paralysé. Très vite, il se rapprochait de Sin et sans réfléchir, il la prenait dans ses bras pour venir la serrer contre son torse. Il l'enveloppait avec douceur et il la serrait aussi fort que possible, en espérant lui retirer ainsi toute sa peine. C'était bien sûr impossible mais c'est ce qu'il souhaitait au plus profond de ses tripes. Les larmes lui montaient aux yeux, parce qu'avec l'annonce de cette grossesse, il avait réalisé qu'il rêvait d'être père. Pourtant, il ne les laissait pas couler. Il voulait être présent pour Sin. Il voulait se montrer fort pour elle...  « Je suis désolé... Parce que j'ai pas été là. Et... parce que j'aurais dû l'être. » Il ne parlait jamais de ce qu'il ressentait. Là, il venait de faire un grand pas. Mais c'est parce qu'il avait besoin qu'elle l'entende. Il était peut être encore une fois maladroit. Peut être qu'elle lui en voulait justement mais peu importe. Pour lui même, il avait besoin de lui dire comme il regrettait. « Je suis là... » Il caressait son dos avec la plus grand douceur dont il pouvait faire preuve. Voir la jeune femme ainsi, ça lui dévastait encore plus le coeur que de devoir affronter sa propre peine.

Kieran reste là, les bras enveloppé autour de la jeune femme. Il la serre contre son torse et il caresse lentement son dos pour la réconforter. Il lutte pour ne pas pleurer lui aussi, même si ses yeux sont remplis de larmes. Il veut se montrer fort et il ne laisse pas la place pour ses émotions. Il n'empêche qu'il se sent responsable. Il n'y peut rien si Sin la tenu éloigné d'elle. Il a voulu respecter ça et il ne peut pas s'en vouloir aujourd'hui. Pourtant, il se demande tout de même ce que cela aurait donné s'il avait insisté. De nombreuses suppositions se bousculent dans son esprit pendant qu'il continue de réconforter Sinéad. Il lui laisse tout le temps qu'elle souhaite pour se calmer. Puis quand elle cherche à se défaire de son emprise, il relâche doucement ses bras qu'il maintenait autour d'elle jusqu'alors.

Ensuite, le policier l'observe avec attention, il la regarde s'installer vers le devant de la voiture puis elle l'invite à faire de même. Kieran la rejoint et s'assois à ses côtés, gardant une certaine distance entre eux pour ne pas risquer de gêner Sin. Il sait qu'il marche sur des oeufs avec elle. Même si elle vient de se montrer plus vulnérable, il connaît aussi le tempérament de feu de la belle. Il n'a pas envie de s'y brûler. Le jeune homme l'écoute ensuite. Il reste plutôt silencieux. Non pas par désintérêt, mais plutôt pour éviter d'être à nouveau maladroit. Ce n'est pas le moment de l'être. Il préfère rester silencieux plutôt que de venir gâcher cette mauvaise nouvelle qu'elle vient de lui partager. Il est triste d'apprendre que cet événement est douloureux. Il voit que cela a profondément marqué Sinéad. Kieran ne se rappelle pas l'avoir déjà vu aussi bouleversée et ça vient lui retourner les tripes. Il se sent exclu de ce qui est arrivé. Si Sin pourra garder cet ourson en peluche, lui n'aura même pas participé à l'achat de tout ces objets pour son futur enfant qui ne naîtra jamais. Il s'apprête à rebondir quand elle enchaîne sur le décès de sa soeur aînée, un mois plus tôt. Le coeur du brun se serre un peu plus face à cette révélation. La vie a décidé de ne pas épargner la jolie Sörvik dernièrement... Elle lui confie se demander à quoi cela sert de continuer, puis elle lui révèle le faire pour son frère, sa soeur et pour la nièce dont elle a désormais la charge. Cette fois, Kieran ne peut pas s'empêcher d'ajouter quelque chose. « Tu ne te bats pas que pour eux Sin. Tu te bats parce que tu es une femme forte. Tu te bats parce que tu as ce feu ardent au fond du coeur qui te dévore et qui te pousse à avancer. Je t'ai toujours beaucoup admiré pour ça. Il y a peu de femmes et encore moins d'hommes qui sont capables de se relever après toutes ces épreuves. Tu es forte. Tu es une survivante. Et tu n'abandonneras jamais face au combat qu'est la vie parce que tu en es tout simplement incapable. » Il avait plongé son regard dans celui de la jeune femme en disant tout cela. Il avait laissé parlé son coeur. Il n'avait pas été maladroit pour une fois, parce qu'il pensait sincèrement tout ce qu'il venait de dire. Sinéad Sörvik n'était pas n'importe qui. Il avait eu la chance d'attirer son attention à la Nouvelle Orléans, parce qu'il ne lui arrivait pas à la cheville.

Il secoue ensuite la tête lorsqu'elle essuie ses larmes avant de se relever. Il refuse qu'elle s'excuse pour cela. « Tu n'as pas à t'excuser. Je ne suis pas venu là pour parler autre chose que de réparations de voiture à la base. Mais ça, c'était avant de te voir. Je me fiche pas mal de passer l'après midi ici si me parler peut te faire du bien. » Kieran était là pour elle. Malgré leurs différents. Malgré leurs conflits. Il serait toujours là pour elle, quoi qu'il arrive.

Le policier observe la jeune femme qui est maintenant debout, face à lui. Une question lui trotte dans la tête et il ne peut s'empêcher de la poser alors il se lance. « Comment s'appelle-t-il ? » Face au regard d'incompréhension de Sin, il prend une grande inspiration et il ajoute : « Ce bébé. Notre bébé. Ce n'est pas parce qu'il n'est pas là qu'il n'a pas existé. C'est même l'inverse. Il a autant existé pour toi que dans mon imagination. Il mérite de porter un prénom... » Kieran avait besoin de savoir comment elle aurait voulu l'appeler. Il refuse l'idée de faire taire tous ce qu'il s'était imaginé à propos de cet enfant. Il avait trop pensé à lui. Il l'avait trop imaginé pour se dire qu'il n'avait été rien au point de ne pas avoir de prénom.  

Même si Sinéad vient de s’effondrer dans ses bras pour pleurer en lui annonçant la terrible nouvelle concernant leur enfant, Kieran sait aussi qu’elle reste en colère contre lui. Il n’a connu la blonde que trois mois, cela peut sembler court pour connaître une personne, mais le brun reste persuadé qu’il la connaît plutôt bien. Lui et sa maladresse sont parfaitement conscients que la jolie Sin peut redevenir un dragon à n’importe quel moment. C’est la dernière chose qu’il désire après ce qui vient de se passer entre eux. Un moment particulier qui a brisé en mille morceaux le cœur du lieutenant.

La suédoise fronce les sourcils quand il en vient à demander le prénom de ce bébé. Bien sûr que cela peut sembler fou, inadapté. Pourtant Kieran est le père de cet enfant, et après la nouvelle qu’il vient d’apprendre, il a lui aussi besoin de faire son deuil. Cet enfant a existé pour lui. Même s’il n’était plus présent dans la vie de Sinéad, il a toujours su qu’il était le père d’un enfant qui grandissait quelque part. Au final, il s’était trompé… Ce bébé n’était jamais venu au monde. Pourtant à ses yeux, il avait vraiment existé. Suite à sa question, il était resté silencieux et il avait fixé la blonde en attendant sa réponse. Kieran l’observait de son regard sombre, pénétrant. Il écoutait chacun de ses mots et il sentait une boule de rage se former au creux de son ventre et qui remontait dans sa gorge. Emrys…
Pourquoi est-ce que ce prénom sonnait-il comme une évidence à son esprit ? Pourquoi ce simple mot, cette simple identité faisait-elle si mal ? Kieran reste toujours silencieux, parfaitement immobile et impassible. Pourtant, une tempête intérieure fait rage en lui, menaçant de le faire exploser. Il écoute Sinéad, il entend à quel point cela a été douloureux lorsqu’elle s’est réveillée dans la nuit accompagnée d’atroces douleurs. Il comprend à quel point cette épreuve a dû être difficile pour la jeune femme, mais il n’y a qu’une chose qui raisonne dans son esprit : Tu n’as pas été là. Elle avait besoin de toi mais tu n’étais pas là. Tu n’étais déjà pas là quand Kaden a eu besoin de toi. Tu n’as pas été là pour Emrys, ni pour Sin. Tu n’es jamais là quand les gens qui comptent ont besoin de toi. La culpabilité le ronge. Il se sent responsable.

Ce n’est pas pour rien que Kieran a décidé de devenir flic. Il voulait faire régner la justice, être présent pour les personnes qui avaient besoin. Kieran voulait protéger. Il n’arrivait encore pas à assimiler l’idée qu’il n’était pas un homme surhumain et qu’il ne pourrait jamais protéger tout le monde. Pourtant, quand il avait décidé de faire ce métier, c’était aussi pour racheter sa culpabilité liée au meurtre de Kaden. Mais même en essayant de faire le bien, il merdait encore. La preuve avec l’annonce de Sinéad concernant leur enfant. Putain, qu’est-ce qu’il s’en voulait… Chaque mot prononcé par la blonde venait lui donner deux indications : elle avait souffert et il n’avait pas été là pour la réconforter.

Le lieutenant la laissait terminer. Il savait à quel point ce qu’il lui demandait était difficile. Sin était comme lui, elle parlait rarement de ce qu’elle ressentait. Kieran enregistrait chacun de ses mots dans son esprit puis, lorsqu’elle l’incitait à continuer de poser des questions, elle ne rencontrait qu’un silence pesant durant lequel il continuait de la fixer. « Je te remercie de m’avoir parlé de tout ça malgré la haine que tu ressens à mon égard. Je suis désolé d’avoir certainement bouleversé ta journée. Et je suis désolé de t’avoir fait te remémorer des souvenirs comme ceux là. » Ses yeux étaient plongés dans les siens. Comme d’habitude, Kieran ne montrait rien. Alors que son âme souffrait profondément. Il s’avança finalement d’un pas vers elle, rompant la distance qui les séparait. Il venait alors poser une main derrière sa nuque et il déposait un baiser sur le front de la blonde. Lorsqu’il reculait son visage, Sin pouvait apercevoir une larme rouler sur la joue de Kieran. Il ne montrait que rarement ses émotions et celle-ci était fine mais significative du tumulte qu’il ressentait intérieurement. « Je ne te dérange pas plus longtemps, je sais que tu as du travail. » Puis il lui tournait le dos et il sortit de l’atelier pour repasser par l’accueil. Il marchait d’un pas calme vers la sortie puis il disparu du garage. Kieran s’éloignait, l’esprit bouleversé. Ce n’était peut-être pas correct de disparaître comme ça, d’un seul coup, mais il n’avait pas pu gérer mieux le tumulte d’émotions qu’il ressentait. Il marchait quelques temps avant de rejoindre une ruelle, à l’abri des regards, dans laquelle il explosa. Ses poings venaient s’abattre violemment sur une poubelle qu’il martelait de coup. Sa plus grande part d’ombre ressurgissait : sa violence, liée aux émotions qu’il ne parvenait pas à faire sortir avec des mots. Kieran craquait et laissait les larmes ruisseler le long de ses joues alors que ses phalanges s’ouvraient en faisant couler son sang. Après plusieurs minutes, il se calmait enfin. La poubelle avait été bien amochée mais ses poings aussi. Kieran était rongé par la culpabilité et un seul mot restait ancré dans son esprit : Emrys.