Shopping meeting | feat. Charlie

Shopping Meeting

Charlie & Kara

Quarante-cinq minutes, c’était ce que ma cheffe m’avait accordé comme pause déjeuner pour cette journée de boulot continue, la première depuis mon arrivée dans le Sephora du Shopping Center de Washington. Je savais que la journée serait longue et fatigante mais je n’avais pas prévu de devoir également manger sur le pouce et ne pas pouvoir m’accorder une réelle pause. Dans mon précédent travail, lorsque je faisais des journées complètes, j’avais souvent deux à trois heures de pause le midi, ce qui avait ses inconvénients également mais me permettait de rentrer chez moi et de ne pas dépenser d’argent inutilement en sandwichs ou salades toutes faites. Mais les règles étaient différentes ici et j’aurais probablement dû me renseigner avant. Après avoir payé beaucoup trop cher pour un sandwich beaucoup trop petit, je m’assis sur un banc de l’allée centrale du centre commercial, loin du Sephora pour ne pas, je cite, « Montrer cet aspect de notre vie au client ». Ma patronne était définitivement folle ou alors le gens pensaient vraiment que nous étions des robots qui ne mangeaient ni ne prenaient de pause. Un sourire m’échappa à cette pensée, non définitivement, c’était ma patronne qui avait un problème !
Cinq minutes s’étaient déjà écoulées, il ne me restait plus beaucoup de temps pour profiter de ma pause et me couper un peu de l’ambiance du centre commercial. Décidée à optimiser mon temps au maximum, je lançais les story Instagram des influenceurs que je suivais en même temps que je croquais dans ce sandwich bas de gamme. Suivre des gens dont la vie semblait sortie tout droit d’un téléfilm me passionnait. Ils recevaient sans cesse de nouvelles choses, affichaient fièrement les collaborations avec des marques prestigieuses dont certaines que je vendais à prix d’or tous les jours, donnaient leurs avis plus ou moins honnêtes sur les produits et m’incitaient souvent à acheter les soins ou le maquillage dont ils avaient vanté les mérites pour les tester moi-même. Heureusement pour moi, je n’avais pas un budget illimité et je devais faire attention à chaque dépense. Je ne pouvais donc pas me permettre de claquer mon salaire dans de nouvelles choses mais je devais bien reconnaitre que ma collection actuelle n’était déjà pas celle d’une personne lambda. Mon ex m’avait un jour dit que ma passion n’était pas normale pour une personne de 26 ans et que je devrais songer à grandir, à ne plus être cette gamine qui rêve d’un monde de princesses et de licornes. J’avais failli tout laisser tomber pour lui, j’avais failli l’écouter mais aujourd’hui, j’étais heureuse et fière de ne pas l’avoir fait. J’étais responsable de mes choix et de mon avenir, mes rêves et mon ambition était mes moteurs, mes raisons de me lever le matin et ce n’était pas lui ou quiconque qui allait m’empêcher de tout donner pour y parvenir.

(c) DΛNDELION

@Charlie Summers

Shopping meeting ft. @Kara I. Williams

T’as jamais aimé le shopping. Jamais, jamais, jamais. Ça peut paraître étrange pour quelqu’un dont le métier implique beaucoup de maquillage et de vêtements, mais l’idée même d’aller faire les magasins, tu détestes. Le bruit, l’ambiance, le monde … Pour quelqu’un d’angoissé comme toi, c’est un cauchemar plus qu’autre chose. Mais parfois, t’as simplement pas le choix. T’as de nouvelles idées de tenues, et pour les réaliser, t’as besoin de tissus, et d’accessoires. Et tant que tu y es, t’as l’intention d’en profiter pour faire le tour des magasins de chaussures et de maquillage, parce qu’on sait jamais. C’est donc comme ça que tu te retrouves au centre commercial au lieu d’être bien tranquillement posé dans ton appart.

Qu’est ce que tu ferais pas pour ton public. Enfin, c’est surtout pour toi. C’est vrai, on entend souvent les artistes, peu importe leur niveau de célébrité, dire que tout ce qu'ils font, c’est pour le public. Bullshit. D’abord et avant tout, un artiste fait ça pour lui même, toi le premier. C’est un moyen d’expression, une passion, qui n’a pas grand chose à voir avec le public. Que tu sois devant trois pélos complètement torchés dans un bar, ou devant des milliers de personnes à la Pride, tu te donnes pareil. Parce que tu aimes ton métier, ton art, et parce que ça te fait du bien. A toi. Après, si ça plait ou que ça fait du bien à d’autres, tant mieux. Mais c’est pas l’objectif premier. Et c’est tant mieux, ça t’évite de t’enferrer dans des considérations du style “que vont penser les gens” … Tu fais ce que tu veux, point barre. Si les autres aiment tant mieux, s'ils n'aiment pas, tant pis.

Mais dans tous les cas, ce qui est sûr, c’est que le shopping, tu t’en passerais bien. Après avoir passé plus d’une heure à sélectionner des tissus de différentes couleurs et matières qui pourraient te servir à de nouveaux vêtements, t’en as déjà marre. T’as besoin d’une pause. Tu t’arrêtes au Starbucks, avant de chercher un endroit où te poser cinq minutes. Y’a pas vraiment d’endroit calme et en retrait, alors tu te rabats sur les bancs au milieu du centre commercial. La plupart sont occupés, l’heure étant celle du déjeuner. Tu te diriges vers celui sur lequel une jeune femme est assise seule, le nez dans son téléphone. T’aurais préféré être seul, mais c’est soit ça, soit les bande d’ados braillards, alors le choix est vite fait. Tu t’assois, posant les sacs contenant tes achats à tes pieds, et tu fermes les yeux un instant, tentant de faire abstraction du bruit et de l’agitation ambiante, sans grand succès. Tu les ouvres au bout de quelques secondes, et tu laisses ton regard s’égarer, observant distraitement ce qui se passe autour de toi. Inévitablement, tes yeux finissent par se poser sur la jeune femme à côté de toi, qui n’a même réagi lorsque tu as pris place. Elle est absorbée par son téléphone, et tu comprends vite pourquoi. Elle semble s’être perdue sur Instagram, à faire défiler des stories. Tu ne veux pas passer pour le mec chelou qui regarde sur le téléphone des gens, mais alors que tu t’apprêtes à détourner le regard, un visage familier apparaît. Une influenceuse, de celles qui parlent essentiellement de maquillage, que tu suis aussi, et que tu aimes beaucoup. Et le peu que tu vois de la vidéo te fait lâcher un “Wow !”, sans même que tu ne veuilles le dire à voix haute. Conscient que tu t’es sans doute grillé tout seul, tu rajoutes précipitamment : “Désolé ! Je voulais pas épier ce que vous faisiez, j’ai juste vu la vidéo, et j’adore ce qu’elle fait, j’ai pas pu me retenir …” Tu termines par un sourire gêné, espérant qu’elle ne t’en veuille pas trop de l’avoir dérangée.

Shopping Meeting

Charlie & Kara

La technique utilisée par l’influenceuse que je regardais n’était pas nouvelle, elle était même plutôt basique mais son choix de couleur était pour le moins audacieux. Mélanger ce bleu électrique avec ce rose fuschia presque framboise était un parti pris qui pouvait très rapidement tourner à la catastrophe, mais le maquillage contredit rapidement mes pensées. C’était vraiment beau et la jeune femme avait eu raison de se lancer dans ce maquillage audacieux. Mon admiration pour cette artiste fût rapidement interrompue par une exclamation provenant de ma droite. Je sursautais brusquement, manquant de lâcher téléphone et sandwich sur jean. Heureusement, mes réflexes me firent plutôt serrer fort les deux objets dans mes mains. Tournant brusquement la tête, je remarquai la présence d’un homme que je n’avais ni vu arrivé ni vu s’installé sur le même banc que moi. Il faut dire que j’étais tellement obnubilée par la story instagram de cette maquilleuse que le monde qui m’entourait était complètement passé au second plan. Aucun doute sur le fait que c’était à moi qu’il s’adressait, son regard était planté sur mon téléphone puis sur moi. Prête à lui demander ce qu’il entendait par cette exclamation, le jeune homme me pris de vitesse. Après avoir entendu son excuse, tu lui souris gentiment. Vous m’avez fait peur ! Mais j’adore ce qu’elle fait également alors je suis prête à vous pardonner Monsieur … ? Je laissais volontairement ma phrase en suspens pour que le jeune homme puisse m’indiquer son prénom. Après tout, c’était assez rare de tomber par hasard sur une personne qui suivait les mêmes influenceurs que vous et s’il avait assez bon goût pour suivre celle-ci, peut-être aurait-il des conseils ou des recommandations pour d’autres personnes à découvrir. J’étais toujours preneuse de nouvelles célébrités à suivre, particulièrement dans la sphère de la beauté, des soins et du maquillage. Passionnée depuis toujours, je suivais déjà énormément de compte mais peut-être en découvrirais-je de nouveau en entamant la conversation avec mon voisin de banc. Vous travaillez ici ? Pour s’être échoué sur un banc en pleine heure de déjeuner, il devait probablement être un employé d’un des magasins de la galerie. Ce centre commercial était si grand que j’avais l’impression de découvrir des nouvelles enseignes à chaque fois que je prenais le temps de flâner dans les allées, il n’était donc pas étonnant que je n’aie jamais vu cet homme même s’il travaillait ici, tout comme moi. Pardon, je ne me suis même pas présentée ! Kara Williams, je travaille dans le Sephora du troisième étage… Information que je donnais spontanément aux gens que je rencontrais, comme si le lieu où je travaillais définissait qui j’étais et ce que j’étais. Pourtant, j’étais bien plus que ça, j’aspirais à beaucoup plus. Mon rêve n’était pas de vendre du Tom Ford et du Laura Mercier toute ma vie, mon rêve était d’être l’une de ses personnes ! J’avais des idées plein la tête mais un portefeuille désespérément vide pour les accomplir. Peut-être que je devrais me trouver un second emploi en parallèle de mon boulot en boutique ? Mais comment concilier ces deux jobs et mes cours en ligne de management ? Une autre idée, un autre rêve pouvait répondre à cette question mais je ne voulais pas encore m’autoriser à rêver, pas encore m’autoriser à espérer que cela soit possible. Moi, influenceuse ? Et pourquoi pas avocate tant qu’on y était ?

(c) DΛNDELION

@Charlie Summers

Shopping meeting ft. @Kara I. Williams

Comme c’était à prévoir, la jeune femme que tu viens de surprendre sursaute, manquant de lâcher tout ce qu’elle tient en main. “Vous m’avez fait peur ! Mais j’adore ce qu’elle fait également alors je suis prête à vous pardonner Monsieur … ?” T’as du bol, a priori t’es pas tombé sur une peau de vache prompte à se vexer dès qu’on lui adresse la parole. Même si tu reconnais que la situation n’est pas fondamentalement à ton avantage, c’est quand même toi qui a regardé ce qu’elle avait sur son téléphone, et même si c’était pas voulu, ça renvoie pas forcément la meilleure des images … “Oh ! Summers. Charlie Summers. Je suis vraiment désolé de vous avoir effrayé, c’est vraiment sorti tout seul.” Un jour, ton incapacité à tenir ta langue te causera des problèmes, tu le sais bien. Mais c’est plus fort que toi. T’aimes pas te retenir de dire ce qui te passe par la tête, peu importe les circonstances. Évidemment, t’as tout de même un minimum de contrôle, mais c’est vraiment un minimum.

“Vous travaillez ici ?” La question te fait légèrement sourire. Plus jeune, après tes études, t’as travaillé comme vendeur dans un centre commercial, dans un magasin de vêtements. T’y es resté des années, jusqu’à ce que tu puisses enfin tout lâcher pour vivre entièrement de ton art. T’as pas du tout aimé cette expérience, et pour rien au monde tu ne retournerais dans un tel emploi. “Oh, non pas du tout ! Je suis un simple client ici. Et vous ?” Tu l’imagine plutôt comme employée d’un des magasins alentours, tu ne connais personne qui ferait volontairement et avec plaisir le choix de manger un sandwich fade sur un banc de centre commercial. “Pardon, je ne me suis même pas présentée ! Kara Williams, je travaille dans le Sephora du troisième étage…” Donc tu avais raison. Tu n’es pas particulièrement surpris que ce soit dans un magasin de produits de beauté qu’elle travaille, vu ce que qui a l’air de l’intéresser. “Enchanté Kara ! Au Séphora ? Je vous ai peut-être déjà croisée alors, j’y passe parfois. Je comptais faire le tour des boutiques de maquillage tout à l’heure, si j’ai encore l'énergie.”

T’as conscience que ça peut sonner étrange, les hommes ne constituent généralement pas le public principal de ce genre de magasins. Et quand ils s’y aventurent, c’est généralement pour trouver un cadeau pour leur copine, leur femme, ou leur maîtresse. Et souvent ils s’aventurent plus vers les parfums que vers le maquillage. Ca t’arrive souvent de te faire regarder comme un extra-terrestre quand tu file directement vers les fonds de teint et que tu n'hésites même pas une demi-seconde avant de choisir ce qu’il te faut. “C’est intéressant comme travail ? Parce que personnellement, même si j’adore le maquillage, je ne pourrais pas m’imaginer travailler là bas …” Passer ta journée à conseiller des vieilles madames qui veulent avoir l’air jeunes, et des petites jeunes qui veulent avoir l’air adulte, c’est pas tout à fait ton idée du bonheur. Ce que t’aimes dans le maquillage c’est de pouvoir jouer avec, expérimenter, et surtout te transformer. T’as rien contre l’idée d’aider les autres à faire pareil, mais l’aspect commercial qui va avec te rebute franchement.

Shopping Meeting

Charlie & Kara

Le jeune homme s’excusa rapidement de m’avoir surprise. Ce n’était pas si grave que ça et malgré la frousse qu’il m’avait collée et qui avait failli ruiner mon jean noir de boulot, je ne pouvais en vouloir à quelqu’un d’être admiratif devant cette make-up artiste. Je souris donc à Charlie, l’incident, sans gravité, était déjà oublié pour moi et il n’avait pas à s’en faire. Je vous pardonne, c’est déjà oublié. Je fus néanmoins surprise d’apprendre qu’il ne travaillait pas dans la galerie commerçante. La plupart du temps, à cette heure-ci, les clients étaient des travailleurs qui passaient en coup de vent entre midi et deux, pressés, stressés et passablement peu aimables, ils ne prenaient pas le temps d’un café sur un banc. Il fallait croire que j’étais tombée sur un cas particulier. Je souris à sa remarque. En effet c’est possible que l’on se soit déjà croisés mais cela ne fait que quelques semaines que je travaille ici… Et cela ne durera que quelques mois pensais-je et espérais-je en mon fort intérieur. Être vendeuse en boutique était un job sympa pendant un temps mais je ne me voyais pas faire cela toute ma vie, déjà car j’avais d’autres rêves, d’autres ambitions mais aussi parce que les clients exigeants, insatisfaits et présomptueux allaient un jour me conduire au meurtre. Si vous passez avant 16h, je me ferais un plaisir de vous servir, Charlie ! Je ne doutais pas que le jeune homme repasserait dans l’après-midi, malgré ses dires, il m’était inconcevable que l’énergie manque pour faire les boutiques de cosmétiques. Pour moi, c’était la dernière étape d’un shopping mais c’était également conserver le meilleur pour la fin. Comment pouvait-on dépenser de l’énergie dans les magasins en tout genre et ne pas en garder une partie pour ceux de maquillage ? Cela m’était impensable mais il fallait prendre en compte que ma passion était en grande partie ma raison de vivre et que sans ça, je n’aurais que très peu de buts dans la vie. La question qui suivit de la part du jeune homme me fit sourire. Disons simplement qu’il n’y a pas de routine dans ce job, chaque jour on doit conseiller de nouveaux clients et s’adapter à leur besoins, comprendre leurs envies même s’ils ne les formulent pas clairement ou qu’ils ne les savent pas eux-mêmes… Je regardais un instant devant moi. Comme vous pouvez le voir, j’ai bien appris le discours que mes supérieurs nous mettent dans le crâne à longueur de journée… Je soupirais légèrement en baissant la tête avant de me reprendre et de sourire au jeune homme. Il ne fallait pas que je montre mon animosité envers mon job à un client, c’était potentiellement une vente en moins et cela allait complétement à l’encontre de ce qui pourrait faire ma prime à la fin du mois. Mais j’aime beaucoup ce que je fais ! A vrai dire, être entourée de maquillage et de soins, conseiller, aider et trouver des solutions pour les autres, je trouve ça intéressant. Je ne dis pas que je ferais ça toute ma vie car comme beaucoup de boulot, il y a des inconvénients mais pour le moment, cela me convient et cela permet de remplir le frigo… Consciente de parler depuis cinq minutes exclusivement de moi, j’ajoutais avec un grand sourire Mais assez parlé de moi, vous ne m’avez pas dit ce que vous faisiez dans la vie et surtout comment vous avez connu cette influenceuse.

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@Charlie Summers

Shopping meeting ft. @Kara I. Williams

“Je vous pardonne, c’est déjà oublié.” Bon, tant mieux, tu te l’es pas mise à dos, c'eût été la cerise sur le gâteau. “En effet c’est possible que l’on se soit déjà croisés mais cela ne fait que quelques semaines que je travaille ici…” Ah bah du coup non. Même si t’utilise beaucoup de maquillage, tu ne passe pas si souvent dans les magasins, tu préfères faire des stocks importants que de venir régulièrement. Ca doit bien faire deux ou trois mois que tu n’as pas mis les pieds dans le magasin en question. “Si ça ne fait que quelques semaines, on ne s’est probablement jamais vus alors, ça fait un petit moment que je ne suis pas passé.” C’est pour ça d’ailleurs qu’il fallait que tu viennes aujourd’hui, certains de tes stocks commencent à être un peu trop bas à ton goût. “Si vous passez avant 16h, je me ferais un plaisir de vous servir, Charlie !” Tout à fait faisable, étant donné que ton but est de ne pas traîner au centre commercial plus que nécessaire. “Oh mais certainement, j’ai bien l’intention d’être rentré chez moi d’ici 16h.”

Elle t’explique ensuite un peu en quoi consiste son travail. “Disons simplement qu’il n’y a pas de routine dans ce job, chaque jour on doit conseiller de nouveaux clients et s’adapter à leur besoins, comprendre leurs envies même s’ils ne les formulent pas clairement ou qu’ils ne les savent pas eux-mêmes… “ Ça te conforte dans l’idée que ça ne serait pas fait pour toi, même si tu peux en voir l’attrait. “Je vois. Je pense que je n’aurais pas la patience de m’adapter comme ça aux différents clients.” Quand elle mentionne ses supérieur, elle met sans le savoir le doigt sur un autre points qui aurait tendance à te rebuter. “Comme vous pouvez le voir, j’ai bien appris le discours que mes supérieurs nous mettent dans le crâne à longueur de journée…” Tu pourrais tellement pas être sous les ordres d’une hiérarchie stricte. Bien sûr, au bar tu dois répondre à la personne qui t’emploie, mais t’es quand même largement libre de tes choix et de tes mouvements, ce qui correspond bien plus à tes besoins. “Ca non plus je suis pas sûre que je pourrais supporter bien longtemps. La philosophie d’entreprise, tout ça, très peu pour moi.”

Mais elle a l’air de se plaire dans son travail, au moins un minimum, c’est déjà ça. Tu sais d’expérience à quel point c’est pénible de faire quelque chose que l’on déteste à longueur de journée… “A vrai dire, être entourée de maquillage et de soins, conseiller, aider et trouver des solutions pour les autres, je trouve ça intéressant. Je ne dis pas que je ferais ça toute ma vie car comme beaucoup de boulot, il y a des inconvénients mais pour le moment, cela me convient et cela permet de remplir le frigo…” T’as bossé plusieurs années dans une boutiques de vêtements, et même si t’adores les fringues, t’as détesté cette expérience au plus haut point. Mais comme pour elle, t’avais simplement pas le choix. “Oui, c’est sûr, il faut bien se nourrir. J’ai aussi dû faire des boulots alimentaires comme ça avant de pouvoir faire ce que je voulais à temps plein. Vous voudriez faire quoi comme boulot pour le reste de votre vie ?”

Ton interlocutrice change ensuite de sujet pour s’intéresser un peu à toi. “Mais assez parlé de moi, vous ne m’avez pas dit ce que vous faisiez dans la vie et surtout comment vous avez connu cette influenceuse.” Tu pourrais faire le modeste, et prétendre être gêné que l’attention soit désormais sur toi, mais personne ne devient drag queen sans avoir un minimum envie d’être sous les projecteurs. T’aimes parler de toi et de ton métier. T’aimes juste pas parler de ta vie personnelle et de ton passé. “Oh, je suis aussi plus ou moins dans le maquillage. Mais dans un tout autre registre, mon métier c’est essentiellement de porter du maquillage. Je suis drag queen.” Tu observe attentivement sa réaction, conscient que ce genre d’annonce peut changer drastiquement le cours d’une conversation. “Du coup je suis pas mal de comptes sur le maquillage sur instagram, on trouve toujours des produits à tester ou des techniques à essayer.”

Shopping Meeting

Charlie & Kara

Je n’avais beau être vendeuse que depuis quelques semaines dans le Sephora, j’avais déjà repéré quelques habitués de la boutique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la clientèle d’un magasin de cosmétiques n’était pas exclusivement féminine et bien que la majorité des clients réguliers soit des femmes, il existait quelques exceptions dont l’homme qui m’avait interrompu durant ma session de visionnage de stories Instagram. Néanmoins son visage ne me disait rien et il confirma mes doutes sur une possible rencontre antérieure en avouant ne pas se rendre si souvent que cela dans un magasin comme Sephora. Si cela fait longtemps que vous n’êtes pas venu, raison de plus pour rendre cette étape obligatoire dans votre shopping du jour ! Et puis maintenant que vous connaissez une vendeuse, peut-être que vous aurez le droit à un ou deux échantillons de plus. ajoutais-je avec un clin d’œil complice. Comme tous les fans de maquillage, je n’étais pas un grand fan des échantillons des grandes marques qui ne permettaient même pas une application entière décente. Néanmoins, je devais reconnaitre que certains échantillons fallait le coup et je comptais bien user de mes privilèges pour les faire découvrir à ma nouvelle connaissance. Alors le rendez-vous est pris, ne m’oubliez pas sinon je risque de très mal le vivre. ajoutais-je en souriant, pas sérieuse pour le moins du monde.

S’adapter aux clients et supporter les caprices de sa hiérarchie faisaient partie de mon quotidien et je pouvais comprendre que cela ne fasse pas rêver mon interlocuteur du jour. Néanmoins, je ne pouvais pas nier que mon boulot était loin d’être un boulot horrible. Bien qu’alimentaire, il me permettait quand même de jouer avec ma passion à longueur de journée et d’année et d’apprendre à la partager avec les autres. Il me permettait aussi, et c’était loin d’être un avantage négligeable, d’avoir des réductions sur toute une gamme de produits. Vu la vitesse à laquelle je dépensais mon argent durement gagné quand il s’agissait de maquillage et de soin, j’étais bien contente de pouvoir profiter de ces remises. La question du jeune homme te prit néanmoins de court, quel boulot je voulais faire pour le reste de ma vie ? La réponse était évidente, simple et pourtant tellement inaccessible à mes yeux. Détournant le regard, je fuyais de nouveau le jugement que j’avais toujours connu quand je partageais mes rêves et mes ambitions. Cela va vous paraitre un peu débile mais j’aimerais devenir la prochaine Charlotte Tilbury, j’aimerais créer des produits de maquillage et de soin, principalement du maquillage d’ailleurs pour toutes les personnes qui souhaitent se maquiller et prendre soin d’elles. Qu’elles aient des problèmes de peau, la peau grasse, la peau mixte, la peau sèche, la peau sensible et j’en passe. J’aimerais partager ma passion aussi avec les autres et même si je le fais un peu au quotidien à travers mon métier, je trouve cela frustrant de ne pas pouvoir le faire aussi librement que si j’étais ma propre cheffe… Finalement la confidence était sortie assez naturellement malgré mes réticences à partager sur ce sujet. A croire que de savoir que le jeune homme partageait mes goûts en termes d’influenceuse m’avait mis en confiance et m’avait permis de me libérer. Souriant de manière un peu gênée, je baissai les yeux un instant. Persuadé que j’allais recevoir un jugement, mon corps se préparait et se mettait en position de défense instinctivement.

Mais le sujet passa rapidement de moi et mes rêves fous à la carrière pour le moins étonnante de mon voisin de banc. Surprise, je relevais le visage vers mon interlocuteur avec des grand yeux pleins de paillettes. Pour moi, les drag queens étaient de véritables artistes et leurs talents était multiples. Un de leur point fort était d’ailleurs le maquillage. Vous ne pouvez pas me balancer ça sans me montrer des photos ! Votre métier m’a toujours beaucoup fasciné, les techniques, les couleurs et surtout les choix assumés, c’est une véritable source d’inspiration. D’ailleurs je pense que l’une de vos collègues habite dans mon immeuble, je l’ai vu l’autre jour rentrer, sa robe était absolument ravissante. Son métier atypique explique également les comptes suivis sur Instagram et l’habitude d’aller dans les magasins de cosmétiques. Je ne serais pas contre quelques recommandations de compte à suivre si vous en avez en tête. Ta pause déjeuner avait beau être courte, elle était en train de devenir plus intéressante et constructive que l’intégralité de ta journée de boulot.

(c) DΛNDELION

@Charlie Summers

Shopping meeting ft. @Kara I. Williams

C’est quand même rigolo que tu aies réussi à tomber pile sur une vendeuse du magasin où tu comptes te rendre juste après. T’aurais voulu le faire exprès que t’y serais jamais arrivé. “J’avoue que ça commence à devenir nécessaire, j’en consomme tellement que les stocks s’épuisent vite.” Faut dire aussi que tu te tartines tellement de trucs sur la tronche que tu utilises en moyenne plus de maquillage en un mois qu’une femme “normale” en un ou deux ans. Ce qui représente d’ailleurs un sacré budget, mais ça fait partie du jeu. Par chance, dans l’ensemble t’es pas trop exigeant et t’aimes bien essayer de nouveau produit, donc même si tu as quelques éléments phares dans ta trousse - pour la plupart issus de marques créées par des drag queen d’ailleurs - t’es assez ouvert et tu aimes tester de nouvelle choses. Et par-dessus tout, tu aimes trouver des choses qui soient à la fois peu chères et de très bonne qualité. Parce que contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’un n'exclut pas forcément l’autre. “Dans ce cas, c’est promis.” Tu ne voudrais pas risquer une deuxième fois de te la mettre à dos, même si tu as bien compris qu’elle plaisantait.

Ce qu’elle t’explique ensuite résonne au plus profond de ton âme. Tu sais ce que c’est que d’avoir une passion, et de vouloir en vivre et la partager. C’est d’ailleurs ce que tu as fait, toi. Ca t’as pris du temps, de l’argent, et de l’énergie, mais au bout du compte, tu vis de ta passion, et c’est la plus belle chose qui te soit jamais arrivée. Tu t’en fous de ne pas gagner beaucoup d’argent, d’avoir un rythme un peu étrange, d’avoir parfois à faire à un public trop alcoolisé pour piger quoi que ce soit, l’essentiel c’est que tu t’éclates et que t’es heureux. Et c’est ce que tu souhaites à tout le monde. "Ça ne me paraît pas débile du tout, c’est même un beau projet. De toute façon, l’important c’est de faire ce qu’on aime et qui nous plait, si c’est pour passer sa vie à faire un boulot qui ne nous plait pas, c’est pas la peine …” Si tu peux l’encourager à poursuivre son rêve, tu ne vas pas hésiter une seconde. Parce que toi-même, si t’avais pas eu de soutien de la part de collègues et d’amis, t’aurais peut-être jamais osé sauter le pas. Et le monde aurait été privé de ton immense talent. Et de ta modestie.

Modestie qui fait immédiatement surface lorsque la jeune femme te demande, ou plutôt exige des photos. Si certaines personnes sont gênées à l’idée d’étaler leur photos comme ça, c’est pas du tout ton cas. Tu pourrais arrêter des gens dans la rue juste pour leur montrer toute ta beauté. “Attendez, j’dois avoir des photos sur instagram justement.” C’est peu de le dire. La grande majorité de tes photos sur les réseaux sont de toi en drag. T’aimes pas tellement t’afficher “au naturel”, sauf quand il s’agit d’une photo vraiment débile. Par contre, en drag, tu passes la moitié de ta vie à te prendre en photo. Tu ouvres donc rapidement l’appli et lui montre tes dernières photos en date. Pendant que tu fais cela, elle t’annonce qu’une de tes collègues habite son immeuble, et qu’elle l’a vu récemment en robe. Ce qui ne manque pas de te surprendre, les drag queens ne sont pas les créatures les plus courantes, et celles qui ne craignent pas de mettre des robes en plein jour et hors du club sont encore plus rares. “Oh vraiment ? Vous habitez dans quel coin ?” T’es curieux de savoir si c’est quelqu’un que tu connais. Ce serait tellement rigolo qu’il s’agisse d’une de tes collègues du Ruby’s. Elle te demande ensuite si tu as des suggestions de comptes à suivre, et pour ce coup là, tu es moins réactif. “J’ai rien qui me vient comme ça, j’ai une très mauvaise mémoire des noms … Mais donnez moi votre insta, comme ça si j’ai des suggestions je pourrais vous les envoyer.” Parce que t’en suis plein, des comptes de ce types, mais de là à te souvenir des quels … “Mais l’inverse vaut aussi, je suis preneur de toute suggestion que vous pourriez avoir !”

Shopping Meeting

Charlie & Kara

L’habitude de voir mon projet, mon rêve être bafoué, renié, dénigré avait créer en moi une sorte de résistance à le partager. Pourtant, je ne pouvais nier que le maquillage et l’ambition de créer ma propre marque était une partie de moi, que malgré mes efforts pour me conformer à un moule, à une société étriquée et à des idées reçues, je revenais sans cesse à cette folie, à cette utopie. Les derniers mois avaient été compliqués, ma rupture n’avait finalement permis qu’une chose, la libération de ma parole et de mes envies. Mais je n’étais toujours pas aussi à l’aise que je l’aurais espéré à faire cette confidence sur moi. Heureusement, le jeune homme qui partageait mon banc balaya d’un revers mes craintes de recevoir un jugement. Je hochais la tête à ses paroles. Il avait raison, survivre dans un boulot qui ne me plaisait pas n’aurait jamais la même saveur que vivre dans mon rêve même si cela impliquait des sacrifices. Un sourire vint s’implémenter sur mon visage, malgré notre rencontre quelques minutes à peine auparavant, j’avais déjà confié plus à cet homme qu’à de nombreuses personnes qui faisaient partie de ma vie à commencer par mes collègues. Mais le courant semblait passer entre nous et notre passion commune était un bon élément de base pour ce qui pourrait être une belle amitié.

Mon sentiment de confort avec le jeune homme fut encore accru par la révélation de son boulot. Je n’avais jamais eu l’occasion de côtoyer des drag queens mais j’avais toujours espéré avoir l’opportunité d’en rencontrer et d’échanger avec certaines d’entre elles. Notamment sur leurs techniques de maquillage et leurs attentes qui m’ont toujours fascinées. Mais avant de partir dans ces sujets précis, j’exige de voir des photos de mon interlocuteur. Tout cet échange est tellement fascinant pour moi que j’en oublis le temps et mon sandwich, sachant qu’une alarme me rappellera à l’ordre cinq minutes avant la fin de ma pause pour que je remonte au magasin. Je plonge donc avec l’esprit excité d’une passionnée prête à découvrir de jolies choses inspirantes dans le diaporama offert par Charlie. Les tenues, le maquillage, la coiffure, tout est absolument ravissant et tirés à quatre épingles. La patience et le talent des drag pour prendre soin d’elles et de leurs images est vraiment admirable. En plein milieu du visionnage, nous continuons d’échanger sur nos vies. Je vis à Anacostia, dans un petit immeuble tout gris. Pas très récent l’immeuble mais c’est tout ce que j’ai pu m’offrir avec mon budget limité de vendeuse en magasin. A la question du jeune Summers, je rallume mon téléphone, verrouillé par réflexe durant notre conversaiton. Mon insta est kw_beauty et le plus simple sera que je vous envoie aussi mes découvertes par ce biais, en plus ça me permettra de stalker vos créations et vos techniques ! Ajoutais-je avec un sourire innocent. Trouvé l’inspiration partout autour de moi, c’est ce que je faisais depuis maintenant plusieurs années et les réseaux sociaux étaient une source illimitée de nouvelles tendances, de nouvelles idées et de nouvelles choses à essayer.

Malheureusement et alors que je m’apprêtais à poser de nouvelles questions au jeune homme sur son métier, sur ce qui l’avait amené dans cette voie et surtout pouvoir partager avec lui sur mes sujets de prédilection, les cosmétiques et les rêves de carrière un peu fous, je fus coupé par une alarme provenant de mon téléphone. La pause était finie. Déçue, je poussais un soupir de tristesse de devoir si vite quitter ma nouvelle connaissance. Je vais devoir y retourner… Mais j’espère vous revoir très bientôt. En théorie, j’aurais l’occasion de le revoir très vite s’il passait au magasin dans l’après-midi mais dans le doute, j’espérais quand même que nos chemins se recroiseraient rapidement.

(c) DΛNDELION

@Charlie Summers

Shopping meeting ft. @Kara I. Williams

La discussion a fait passer le temps à une vitesse folle, et t’en a presque oublier ce qui t’avais fait venir t’asseoir là en premier lieu. T’étais venu pour t’éloigner un peu du monde et du bruit, reprendre un peu tes esprits, toi qui a horreur de la foule. Et au final, le hasard t’as fait faire une jolie rencontre. La jeune femme te parle de ses projets, de ses désirs pour son avenir, et tu ne peux que l’encourager. T’as beau être un homme, t’es particulièrement sensible à la cause des femmes et à leur émancipation, et si tu peux aider quelqu’un, ne serait-ce qu’un peu, à aller vers son rêve, tu vas le faire. Tu sais à quel point c’est essentiel de suivre ses envies, et de faire de sa passion un métier. Tu sais pas ce que tu serais devenu si t’avais pas pu faire ça, mais ça n’aurait sans doute pas été beau à voir. Par chance, t’as trouvé ta voie, et t’as trouvé des gens pour te prendre sous leur aile. Et tu ne peux que lui souhaiter la même chose. La discussion dévie rapidement vers ton expérience à toi, tu lui montres quelques photos, vous parlez un peu de vos vies … Elle mentionne une drag queen qui vivrait dans son immeuble, ce qui pique ta curiosité. “Oh ? J’habite aussi Anacostia ! Mais je ne connais pas d’autre drag queen qui vivent dans ce quartier … Après, je ne connais évidemment pas toutes les queens de la ville.” Il n'empêche que c’est une drôle de coïncidence. T’as bien l’intention de mener l’enquête pour savoir de qui il s’agit, même si sans adresse précise, ça risque d’être un peu compliqué … Mais peut-être qu’une de tes collègues la connaîtra, qui sait.

Puis, ayant bien l’intention de garder le contact avec elle, et d’échanger sur vos coups de cœur, tu ouvres Instagram pour suivre son compte, qu’elle vient de te donner. “Moi c’est charlie_agate.” Théoriquement, elle l’aurait su par la notification qu’elle a dû recevoir, mais on se sait jamais. “Effectivement, ça sera plus simple ! J’ai hâte de voir un peu ce que vous faites aussi.” T’es toujours curieux de découvrir de nouvelles choses, surtout si ça peut t’aider ou t’inspirer pour ton art. C’est comme ça que tu évolues de toute façon. A force de patience, d’observation, et d’entraînement, t’as progressivement amélioré ton talent, et ton style, pour en arriver à ce que tu fais aujourd’hui. Mais pas question de s’arrêter là, on peut toujours s’améliorer et t’as bien l’intention de continuer à te perfectionner aussi longtemps que tu le pourras. Une alarme de téléphone vient mettre fin à la discussion, te faisant au passage sursauter. Fin de la pause pour elle, et du coup, probablement pour toi aussi. T’as suffisamment rechargé tes batteries pour retourner finir tes emplettes, et t’as un peu hâte de rentrer chez toi aussi. “Bon courage pour l’après-midi, et on se revoit tout à l’heure, c’est promis !” Tu comptes finir le reste d’abord, histoire de pouvoir prendre ton temps, le maquillage restant le plus important dans tes achats.

Shopping meeting | feat. Charlie

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