Votre visage me semble familier. Est-ce que je vous connais ? | feat. Nora

feat @Nora Grant

La journée avait été productive et pleine d’espoir. Je n’avais pas eu de service au magasin aujourd’hui mais j’avais occupé mon temps en faisant un énorme ménage de mon appartement, en cuisinant pour le reste de ma semaine de boulot et en prenant du temps pour me maquiller et m’apprêter selon une nouvelle inspiration que j’avais trouvé sur internet. Un maquillage très graphique que je trouvais plutôt réussi bien que loin d’être parfait. La pratique faisant la perfection, je n’hésiterais pas à refaire ce type de technique. Mais pour le moment, il fallait que je sorte de chez moi pour faire quelques courses de Noël, il me restait encore plusieurs cadeaux à faire et très peu d’idées en réserve, surtout au vu de mon budget serré. Je voulais faire plaisir aux autres mais cela devenait plus compliqué maintenant que je devais également payer mes cours de management en ligne. Malgré tout, j’étais persuadée que j’allais trouver de bonnes idées et faire plaisir à mes proches. Après tout, j’y arrivais chaque année, pourquoi 2020 ferait exception à la règle ?

Après être sortie de mon quartier d’habitation dans lequel j’avais déjà écumé les petites boutiques, je me rendis au centre-ville. Je ne souhaitais pas me rendre au Shopping Center dans lequel je passais déjà trop de temps avec mon travail mais j’avais envie de voir les petites boutiques des rues perpendiculaires aux artères centrales. Commençant par un ravissant magasin d’antiquités, j’espérais trouver un joli élément de décoration pour Liv’ et Léo mais après près d’une heure dans le magasin, je dus me rendre compte que ce n’est pas là que je trouverais mon bonheur. Déçue et frustrée, je sortis dans la rue. Un petit chien tout triste me lança alors un regard éploré. Regardant autour de moi, je ne vis aucun propriétaire à l’horizon. La bestiole semblait amicale mais perdue et abandonnée. Me baissant pour attirer l’animal, je constatais l’absence d’un collier. Dommage ça aurait été un bon début pour mes recherches de propriétaire. Le petit chien était très chaleureux et se frottait contre ma main comme s’il avait l’habitude de se faire grattouiller de la sorte. Persuadée qu’il appartenait à quelqu’un, j’attrapais l’animal, quitte à salir un peu mon manteau, je ne pouvais pas laisser ce pauvre animal sans toit alors que la nuit s’annonçait glacée et que le thermomètre était déjà proche du zéro degré.

Cela ne faisait que quelques semaines que j’étais sur Washington mais je connaissais la localisation de la clinique vétérinaire devant laquelle je passais chaque matin en allant au travail. Quelques rues plus loin, je poussais donc la porte de la clinique pour nos amis à quatre pattes. Le ciel semblait en ma faveur car aucun client n’attendait dans le hall d’accueil, je pus donc directement me présenter à l’agente d’accueil, une jolie brune. Bonjour. J’ai trouvé ce petit gars à quelques rues d’ici… Il est clairement domestiqué et adore les caresses, je pense qu’il s’est échappé ou qu’il a été abandonné car il n’a pas de collier… Est-ce que vous pourriez regarder s’il a une puce ou quelque chose comme ça ? Mon souhait était que cette petite boule de poil rejoigne les siens si ces derniers l’avait juste égaré ou qu’il soit confié à une famille aimante s’il avait été abandonné par des personnes sans cœur.
 

feat @Nora Grant

Laisser un animal sans défense, visiblement perdu et apeuré dans la rue ne correspondait pas à mes valeurs. Je me fichais pas mal de salir mon manteau ou d’interrompre ma séance shopping désastreuse. Ce qui comptais, c’était d’essayer de comprendre ce qui avait pu arriver à ce petit chien qui ne semblait pas bien méchant. Après un rapide coup d’œil dans la rue et dans les alentours, je dus me rendre à l’évidence que le propriétaire n’était pas dans les parages. Mais cela ne signifiait pas forcément que cet animal avait été abandonné, il pouvait très bien s’être échappé et avoir atterrit dans cette rue, décidé à terminer sa course car affamé. Le canidé devait être encore assez jeune car il mordillait mon gant alors que je passais le seuil de la clinique vétérinaire. La question de la jeune femme qui me faisait face me pris de court. N’ayant jamais eu d’animal de ma vie, j’ignorais qu’il était possible de vérifier par moi-même l’identité de ce dernier, je pensais qu’il n’y avait que des puces électroniques planquées dans les cou des chiens et des chats et lisibles par des appareils électroniques qui permettaient une identification. Euh non désolée… A vrai dire, je n’ai jamais eu d’animaux, je ne savais même pas qu’on pouvait les tatouer sur les oreilles… avouais-je un peu penaude d’être aussi incompétente.

Malgré ma gêne, je suivais la vétérinaire dans la salle consultation et suivit ses instructions en posant le chien sur la table. Continuant de le caresser d’une manière distraite, je regardais la professionnelle s’afférer tout en rassurant le petit chien. Ce dernier ne sembla pas avoir de tatouage puisque la jeune femme partir chercher un appareil qu’elle plaça sur le cou du petit être. Impatiente de connaitre le résultat, je suis surprise de découvrir le regard de la jeune femme sur moi, sans raison apparente et surtout qui ne me donne pas la réponse à la grande question : est-ce que ce petit animal a un maitre quelque part qui le recherche éperdument ? Passant une main sur mon nez par réflexe. J'ai quelque chose sur le visage ? Pardon, je n'ai pas regardé si mon maquillage avait coulé depuis que je suis partie de chez moi… Un japement du toutou me fit revenir brusquement à la réalité et aux choses plus importantes que mon apparence. Est-ce qu’il a un propriétaire du coup ? Savoir que ce petit être allait potentiellement finir en fourrière ou en refuge me brisait le cœur mais malheureusement, je ne pouvais l’accueillir chez moi, c’était trop petit et surtout, avec un emploi du temps en dents de scie comme le mien, ce petit chien ne pourrait avoir l’attention et les sorties qu’il méritait avec moi. C’était triste car j’avais toujours rêver d’avoir un animal de compagnie mais je devais me rendre à l’évidence que ce n’était pas un rêve accessible pour le moment…

 

feat @Nora Grant

Le regard de la jeune femme sur moi était quelque peu perturbant. Peut-être que mon maquillage avait coulé ? Ou peut-être que la vétérinaire n’aimait pas les gens qui se maquillaient aussi peu subtilement que moi ? Dans tous les cas, je n’aurais jamais anticipé la réponse de la jeune femme qui m’annonça m’avoir déjà croisée. Je passe souvent le matin devant la clinique pour aller travailler, c’est peut-être pour ça ? Sinon, en dehors de ça, cela me semble peu probable, j’ai déménagé à Washington il y a quelques semaines à peine… Mais le sujet bascula rapidement sur ce qui nous amenait dans cette pièce qui sentait bon le propre et le ménage récent, ce petit chien très mignon qui avait décidé de croiser ma route en cet après-midi hivernal. Je hochais la tête aux instructions de la jeune femme, peinée de savoir que malgré la bonne nouvelle de la puce, ce n’était pas certain que nous allions trouver les propriétaires de ce petit être. Un peu désemparée, je repris néanmoins mes esprits quand la jeune femme me parla de laisser le chiot dans une cage et dans un refuge. J’avais conscience que c’était la procédure mais cela ne rendait pas la perspective plus attrayante. Secouant négativement la tête, je repris la parole. Non je vais rester un peu. J’ai envie de croire que c’est cette crapule qui s’est enfuie et pas un propriétaire malhonnête qui l’a abandonné et condamné au refuge ou pire… J’avais foi en l’humanité quand il s’agissait des animaux mais la vérité et l’expérience montraient souvent que la cruauté des hommes n’avait de limites que leur imagination sans failles. Je levais un regard vers la jeune femme qui m’observais à nouveau. Cette situation était assez étrange, je lisais dans son regard beaucoup d’interrogations et je sentais dans la pièce une certaine gêne. Heureusement les jappements du chiot couvraient l’ambiance bizarre qui régnait entre moi et la jeune brune. Cette dernière s’approcha d’ailleurs du jeune animal et m’informa de son prénom. Souriant, je me penchais pour placer ma tête à la hauteur du canidé. Enchanté Iron, Flocon aurait été plus approprié mais c’est très joli aussi Iron. Moi c’est Kara Williams mais tu peux m'appeler Kara. Est-ce que j’étais en train de me présenter à un chien ? Totalement et je n’en avais aucunement honte. La vétérinaire avait du voir des dizaines et des dizaines de personnes parler avec leur animaux, je suis certaine qu’elle ne serait pas choquée ou révoltée de mon comportement.

 

feat @Nora Grant

Mordillant mon doigt, le jeune chiot semblait heureux de ma présentation et malgré l’ambiance assez étrange qui régnait dans cette pièce depuis quelques instants, mon attention fut rapidement obnubilée par le jeune animal. Il était vraiment adorable et semblait apprécier mes jeux rudimentaires qui consistaient à poser ma main à différents endroits de la table d’auscultation pour qu’il l’attrape, évidement sans grand succès. Je m’amusais comme une gamine et j’oubliais momentanément le coup de fil qu’était en train de passer la jeune vétérinaire et qu’il allait être déterminant pour la vie du canidé. Les animaux n’avaient jamais vraiment fait partie de ma vie, ma mère étant trop égoïste pour s’occuper d’un autre être qu’elle-même, ce pour quoi elle avait déjà du mal parfois et n’ayant jamais eu un appartement assez grand pour offrir une vie agréable à un animal. Mais cela ne m’empêchait pas d’apprécier ces boules de poils et de rêver qu’un jour l’une d’entre elles partagent ma vie. Pour le moment, j’espérais simplement qu’Iron puisse retrouver sa famille et que ses maîtres ne l’aient pas abandonné dans la rue en plein hiver. La bonne nouvelle arriva rapidement. Soulagée, je regardai le jeune chiot. Alors comme ça on s’est enfui petite canaille ? Tu as dû faire une peur bleue à tes maitres ! Je suis déçue de toi, jeune Iron… mais le regard de l'animal me fit fondre en moins de deux secondes. Face à ces petits yeux et cette bouille adorable, je ne pouvais rester fâchée contre lui bien longtemps, le fripon allait donc s’en sortir et je ne doutais pas que ses maîtres seraient dans le même dilemme que moi lorsqu’il rejoindrait leur bras.

La vétérinaire réattira mon attention en reprenant la parole. Je ne m’attendais pas à quoique ce soit mais sa révélation eut quand même un effet de surprise chez moi. Ouvrant des grands yeux, je fus rapidement replongée dans des souvenirs de mon enfance, des souvenirs lointains, un peu flous, ceux qu’on oublie avec le temps et qui finissent par doucement mais surement s’effacer à tout jamais de notre cerveau. Je me voyais toute petite, demander à ma maman d’aller dans la grande ville pour voir Nora, d’inviter ma cousine préférée pour jouer à la princesse. Je devais avoir cinq ans et mes souvenirs ne me donnaient pas d’explication mais d’un coup d’un seul, cette fameuse cousine préférée avait disparue de ma vie, disparue de la circulation, comme si on l’avait brusquement retirée du tableau. Regardant la jeune femme, je ne reconnus aucun de ses traits, la petite fille de mes souvenirs étant trop floue, trop lointaine pour être resituée, surtout vingt ans plus tard. Je… Je crois que je me souviens un peu… Nora, c’est ça ? Ce prénom en souvenir, probablement l’une des seules choses que j’arriverais à extirper de mon cerveau alors qu’il digérait la nouvelle de ces retrouvailles impromptues. Soudain en manque d’air, je m’assis lourdement sur la chaise à gauche de la table de consultation. Certes, elle ne m’avait pas annoncé que j’allais mourir mais les souvenirs de moi petite était un choc que je n’avais pas prévu de vivre aujourd’hui. Cette partie de ma vie, cette partie heureuse n’était qu’un lointain souvenir et la plupart du temps, je préférais laisser les souvenirs dans le passé, là où ils étaient censés être. Pas sentimentaliste, je préférais me concentrer sur le présent. Présent qui aujourd’hui m’offrait une cousine dont j’avais jusqu’alors oublier l’existence. Désolée, je… Ce n’est pas tous les jours qu’on récupère un animal en fuite et qu’on se retrouve nez-à-nez avec un souvenir…

feat @Nora Grant

La confirmation de l’assistante vétérinaire sur son identité et sur son lien avec moi avait fait remonter pas mal de souvenirs que je croyais à jamais oubliés et enterrés dans un coin de mon cerveau. Ces souvenirs étaient ceux d’une période simple et sans prise de tête, une période où ma mère ne faisait pas passer ses envies et ses folies avant le reste, où l’argent était déjà un problème mais que le peu que nous avions était justement dépensé, où les hommes ne s’enchainaient pas dans notre appartement, où tout semblait encore possible pour la petite fille que j’étais, même devenir une princesse. Assise sur la chaise auprès de la table d’auscultation, je vis Nora approcher de l’animal et l’occuper, il m’était complètement sorti de l’esprit face à ce flot de pensées. Ma cousine semblait heureuse de me retrouver, de me rencontrer après toutes ces années. C’était drôle d’imaginer que quelque part, j’avais une famille, des gens qui partageaient le même sang que moi en partie et qui ne m’avait pas abandonnée ou détruite. C’était aussi beaucoup d’informations à digérer et même si une partie de moi était heureuse de voir cette jeune femme, une autre partie de moi était en train d’assimiler tout cela. Je… Les mots étaient difficiles à trouver, je ne voulais pas blesser cette jolie brune mais je ne voulais pas non plus prétendre que cette situation me remplissait d’une joie immense comme cela semblait être le cas pour elle. Ça fait longtemps que tu es vétérinaire ? Changer le sujet pour parler de banalités semblait la meilleure solution pour moi. Cela me laissait le temps d’avaler tout ça tout en apprenant plus de choses sur cette cousine qui avait été mon rayon de soleil des années en arrière. Si nos mères n’avaient pas soudainement coupé les ponts entre nous, qui sais ce que nous serions devenus l’une pour l’autre ? Notre complicité enfantine aurait pu se transformer en tellement de choses, une belle amitié ou une tolérance familiale mais dans tous les cas, nous n’avions pas eu l’occasion de le découvrir car d’autres avaient décidés de nous éloigner. Tes parents vont bien ? Mon oncle et ma tante… Rien que cette idée m’arracha un sourire pensif. Mon géniteur absent et ma mère démissionnaire n’était pas la seule famille que j’avais, c’était la seule que j’avais eu jusque là mais cette rencontre ouvrait d’autres possibilités pour moi, des possibilités qui semblaient heureuses bien qu’abstraites à mes yeux.