Suis-je seul à porter ce masque? Suis-je seul à faire semblant? | Elliott

Né un 18 août à Mexico, Mexique, je détiens la nationalité mexicaine du fait de ma naissance sur le sol mexicain . La seule chose dont je puisse être sûr concernant ma mère, était qu'elle m'aimait sincèrement  -le reste de son histoire étant bien trop flou pour moi... je crois d'ailleurs qu'elle est la seule, à connaître la teneur véritable de tous ces secrets. J'ai vécu les trois premières années de ma vie à Tijuana, où ma mère m'élevait, seule. L'odeur des rues, la chaleur, quelques vagues sensations me reviennent parfois en mémoire, trop petit à l'époque pour avoir de réels souvenirs. Mais les choses ont sans doute dû commencer à chauffer pour elle, lorsqu'elle décida de partir, de l'autre côté des frontières, avec nous et celui qui s'apparenterait alors le plus à une figure paternelle, Grâce à cet homme, nous n'avons jamais manqué de rien. Il nous a tout donné. Un toit, une éducation, tout ce dont on pouvait rêver. Il avait même exhaussé mon vœu le plus cher, qui était, pourtant, sur le papier, irréalisable: son fils étant plus âgé que moi, et devenant... mon frère, et sa fille, du même âge que moi. Le rêve ! moi qui avais toujours voulu avoir quelqu'un avec qui tout partager,  j'avais mieux. Un grand frère d'abord, qui n'hésitait jamais à me montrer les plus grosses conneries à faire, et... Une soeur, du même âge que moi ! une super copine avec qui je pourrais avoir des centres d'intêrets communs et de longues heures de jeux. A vrai dire, je n'ai pas mis longtemps à les apprécier, du haut de mon jeune âge.

On avait tout pour être heureux, tout s'annonçait plutôt bien parti, jusqu'au jour où ma mère décida, une fois de plus de se dérober. Cette fois, je ne serais pas dans ses foutues valises. C'était quoi, le projet, hein ? je n'étais plus assez nouveau ? j'avais cessé de l'amuser ? elle ne voulait plus de moi, alors elle m'avait laissé.  Du moins, c'est longtemps ce que j'ai cru. Jusqu'au jour où j'ai compris qu'elle avait fait tout ça pour me protéger. Alors son conjoint de l'époque, le super-papa Collins, a décidé de m'adopter et mon demi-frère, est devenu mon frère pour de bon. Mon modèle était mon vrai frère aux yeux de la loi, mais aussi dans mon coeur. Quelques années plus tard, c'était ma petite soeur qui verrait le jour, lorsque notre père décida de se marier avec sa nouvelle compagne: la parfaite petite famille américaine était enfin au grand complet

Mon enfance elle, s'est déroulée sans accrocs. J'étais peut être un peu désinvolte, certains me trouvaient même arrogant. Je savais simplement ce que je voulais, passant mon temps à m'amuser de tout, de rien, à rêver d'une vie ailleurs, de comédie. Shakespeare, Molière, Corneille pouvaient faire bailler d'ennui, moi, ils m'émerveillaient. Alors j'ai appris leurs textes, pour m'amuser. Et tous les jours, récitais une scène, juste pour le plaisir. Ce qui en a charmé plus d'une croyez moi. Mais ce n'était pas le cas de Charlie. Elle disait que les intellos, ça la branchait pas. Pourtant, elle m'attirait. C'était fou comme elle m'attirait. J'avais 18 ans, et des rêves plein la tête, composés principalement de Charlie. D'images osées, mais jolies d'elle et moi, de son parfum qui m'enivrait. Avec le recul, je crois qu'elle aurait pu me mener par le bout du nez sans problème. Mais elle avait l'élégance de ne pas jouer avec le coeur des hommes. Miraculeusement, peut être par acharnement, j'ai réussi à avoir Charlie. C'était la seule chose que je voulais. Et elle seule savait que j'avais été adopté. On était heureux ensemble, la question ne se posait pas. Tout était simple. Alors lorsqu'on lui a annoncé sa maladie, j'ai d'abord dévalé des monts, ne comprenant pas pourquoi elle, pourquoi la vie pouvait être aussi dégueulasse. Et puis j'ai foncé, décidé à devenir médecin, persuadé que j'allais la sauver.

Malheureusement, Charlie n'eut pas la chance de voir mes exploits. Par manque de rigueur, j'ai échoué ma dernière année. Et alors que j'étais prêt à repartir pour un tour, toujours aussi déterminé, j'ai reçu ce maudit appel, un soir où je m'y attendais le moins. Cela faisait deux jours, qu'elle était à l'hopital, pour des examens de routine, selon elle. Mais lorsque j'ai entendu la voix éplorée de sa mère au téléphone, j'ai compris. Charlie m'avait menti pour ne pas avoir à me dire au revoir. Ou peut être pour me protéger. Mais sans elle, mon monde s'effondrait. J'étais perdu, et ne savais ni d'où je venais, ni où j'allais. Alors j'ai tout envoyé valser, me réfugiant chez ma soeur quelques mois, le temps de me remettre sur pieds...

Et peu à peu, je me suis remis au travail, me raccrochant à ces tranches de rêves qui m'avaient toujours bercé; incarnant des dizaines, peut-être même des centaines de personnages pour ne pas avoir à affronter ma douleur, au fil du temps, devenue non pas moins forte, mais supportable: j'avais appris à vivre avec,
Et si mes frères et soeurs, eux, connaissent mon secret même si ce n'est que vaguement pour certains, mon père reste convaincu que je suis le meilleur généraliste d'un petit bled perdu, près de Washington. Je n'ai pas eu le courage de lui dire. Je ne pouvais pas le décevoir à ce point. Embourbé dans le mensonge, ma carrière bien lancée j'ai peur du jour où il verra son fils à la télé.

Désormais, je vis la nuit, dors le jour. Vis comme si j'allais mourir demain, parce qu'au fond, une vie, c'est court on peut tout perdre du jour au lendemain. Et puis c'est tellement plus beau, la vie la nuit. C'est là, entre chien et loup, alors qu'il n'y a plus de bruit, que tous les écorchés se retrouvent...