Eileen ♣ There was a star danced, and under that was I born.

1 | Commençons par une petite présentation de ta famille. Ton père, Henry, était le fils aîné d’une vieille famille aristocratique anglaise, et en était très fier. Il a hérité du titre de son père peu après ta naissance. Ta mère, Mary, était une jeune fille de bonne famille, et a épousé ton père d’abord et avant tout parce qu’il était un bon parti. Bien entendu, il y avait derrière tout ça une certaine affection, peut-être même de l’amour, mais ils n’étaient pas très démonstratifs à cet égard. De cette union naîtront trois enfants. Un fils d’abord, James, pour le plus grand bonheur de ton père qui ne souhaitait rien d’autre qu’un héritier. Toi, ensuite, un an après. Ton père aurait sans doute préféré un deuxième garçon, mais l’avenir de la lignée étant assuré, il en fut moins déçu que si ton frère n’avait pas été là. Et enfin, une deuxième fille, Joanne, trois ans après toi. De l’extérieur, une famille de la haute comme il en existe d’autres, un peu guindée, d’apparence tout à fait harmonieuse mais à la réalité un peu moins glorieuse.
2 | L’évènement de ta naissance a été finalement un non-évènement. Quelque chose d’assez banal. Ton père n’était pas présent, il avait mieux à faire ailleurs. Le tout s’est déroulé très vite, sans complications ni effusions. T’es née directement à la maison, comme ton frère et ta soeur. Tradition familiale. Une naissance tout à fait “normale”, donc, sans grand intérêt. C’est ensuite que les choses se sont compliquées, puisque ta mère a ensuite fait une dépression sévère, et tes premiers mois ont été essentiellement passés avec une nourrice. Pas vraiment le meilleur départ dans la vie, mais pas non plus le pire. Au moins ta nourrice t’as donné l’affection dont tu avais alors besoin.
3 | T’as toujours eu du mal à trouver vraiment ta place dans le schéma familial. Coincée entre le frère aîné porteur de tous les espoirs de ton père et la sœur cadette, petite princesse de ta mère, t’as toujours été un peu celle de trop, la moins intéressante. C’est pas pour rien d’ailleurs que ton conte préféré était “Le vilain petit canard”. Tu t’y reconnaissais. T’étais moins brillante que ton frère, moins jolie que ta sœur. Ce qui ne veut pas dire que tu étais laide et stupide. Mais t’étais juste plus transparente que les deux autres, aux yeux de ta famille. Ca t’as suivi longtemps, et c’est sans doute ce qui t’as poussé à te rebeller par la suite.
4 | Toute ta scolarité a été faite en école privée. Tes parents étant relativement riches et bien connectés, c’était une étape toute naturelle dans l’éducation de leurs enfants. Tu as donc, dès tes plus jeunes années, fréquenté essentiellement d'autres enfants issus des couches supérieures de la société. T’avais quelques bonnes amies à l’époque, ayant à l’époque un caractère suffisamment souple pour t’adapter aux gens qui t’entouraient. La fille d’une amie de ta mère était avec toi, et puisque tu la connaissais depuis toujours, tu la considérais comme ta meilleure amie. Cette amitié durera presque toute votre enfance et adolescence, mais plus par habitude que par réelle affection. Scolairement parlant, t’étais une élève tout à fait ordinaire, bien qu’ayant des notes légèrement au-dessus de la moyenne. Le contraire aurait été très mal perçu par tes parents, et tu étais à ce moment-là désespérée de te faire bien voir d’eux.
5 | our le secondaire, tes parents t’ont envoyée en internat. C’était la suite logique du parcours, et ce qu’ils avaient fait pour ton frère avant toi, mais tu l’as très mal pris. T’avais aucune envie, toi, d’aller passer presque toute l’année loin de chez vous. D’autant que ça s’est avéré être une très mauvaise expérience. Des profs bien trop stricts à ton goût, des camarades avec lesquelles tu ne t’entendais pas du tout … T’étais pas parmi les filles populaires de l’école, et ces dernières ne se sont pas gênées pour t’en faire voir de toutes les couleurs. Surtout la première année. Par la suite, tu as appris à te défendre, ce qui n’a pas aidé ta réputation, mais t’as au moins aidé à survivre.
6 | C’est à cette époque là que t’as commencé à changer. Te poser des questions, sur toi-même, sur tes valeurs, et ton éducation. Le carcan qui t’étais imposé, tant par ta famille que par l’école, a commencé à sérieusement te peser, et t’as cherché à t’en défaire. Te rebeller, notamment en allant à l’encontre du règlement aussi souvent que possible. T’es passée proche de te faire renvoyer à plusieurs reprises, mais tes bons résultats scolaires t’ont sauvé la mise. A la maison, t’envoyais chier tes parents aussi souvent que possible. Leur monde ne te correspondait pas du tout, et t’avais bien l’intention de leur faire savoir. C’est aussi à cette époque que t’as commencé à t’interroger sur ta sexualité. T’étais entourée de filles à l’école, qui avaient toutes comme seule préoccupation le maquillage, les fringues, et les mecs. Et toi, rien de tout ça ne t’intéressait. Mais t’étais pas encore prête à admettre ce que ça voulait dire et toutes les implications qui en découlaient.
7 | Durant la dernière année de ton secondaire, en plus de tout ça, l’ambiance à la maison s’est dégradée considérablement. Tu n’y étais que pendant les vacances scolaires, mais c’était largement suffisant pour se rendre compte que plus rien n’allait dans ta famille. Tes parents, qui déjà à la base ne formaient pas vraiment un couple unis, passaient le plus clair de leur temps à s’engueuler, l’entente ténue qu’ils avaient au début de leur mariage ayant depuis évolué en un désintérêt teinté d’amertume. Ta sœur, aussi, qui s’est transformée en une véritable peste pourrie-gâtée, piquant des crises dès qu’on ne s’intéresse plus à elle. Ton frère, qui n’hésite pas à te faire bien comprendre que t’es pas aussi bien que lui. Et toi, au milieu de tout ça, t’as qu’une envie : fuir.
8 | L’université était une excellente opportunité de t’éloigner un peu de tout ça. T’as été acceptée au Magdalen College, Université d’Oxford, où t’as donc entrepris des études de médecine. D’un côté, ça a été libérateur. L’ambiance de l’université étant très différente du lycée, et t’as enfin pu être toi-même. T’étais entouré de gens de tous horizons, de toutes origines, et t’as enfin pu t’ouvrir au monde et t’assumer pleinement. Ca t’as pris du temps, bien sûr, de te débarrasser de certains automatismes, mais t’y es arrivée. T’as exploré, expérimenté, tu t’es épanouie. T’as pris confiance en toi, et tu t’es acceptée. D’un autre côté, ton espoir de t’éloigner de ta famille n’a pas été aussi efficace que tu l’aurais voulu. Tes parents t’appelaient dès qu’ils voulaient se plaindre l’un de l’autre, ce qui était particulièrement lourd, et au bout de trois ans, ta soeur t’as rejoint à Oxford, ce qui a donné une excuse à tes parents pour venir vous voir régulièrement, à ton grand désespoir.
9 | Les relations familiales, déjà très tendues, ne se sont clairement pas arrangées quand est venu pour toi le temps de faire ton coming out. T’as repoussé l’échéance aussi longtemps que possible, mais après une énième question d’un membre de la famille sur “quand est-ce que tu te trouves un mari ?”, t’as craqué. La discussion a été longue, et pénible. Tes parents ont très mal pris la nouvelle, persuadés qu’il s’agissait là d’un “choix” fait exprès pour t’opposer à eux. Ta sœur a décrété que tu voulais juste te rendre intéressante, et ton frère s’est juste barré. Autant dire que t’as fini cette journée là en pleurs, roulée en boule dans ton lit. Tu te doutais bien que ça ne serait pas simple, mais t’avais quand même espoir que ça ne soit pas aussi violent. Raté. Suite à ça, les relations avec eux se sont limitées au strict minimum. Tu as même cessé de te rendre aux fêtes de familles, bien consciente que personne n'apprécierait ta présence.
10 | T’avais vraiment besoin de t’éloigner de tout ça, physiquement et mentalement, le plus vite possible. Il en allait de ta santé. Lorsque le moment est venu de faire ta résidence en médecine, t’as pris la décision de partir à l’étranger. C’est quelque chose d’assez commun, d’autres de tes camarades ont fait le même choix, mais pour toi c’était vital. T’as choisi de partir aussi loin que possible, et même de changer de continent. Les Etats-Unis t’ouvraient les bras, et tu es partie sans un regard en arrière. Les premiers temps ont été difficiles, il a bien sûr fallu t’adapter à cette nouvelle vie, loin de tout ce que tu connaissais, mais la liberté que ça t’as apporté n'avait pas de prix. Raison pour laquelle tu es restée.
11 | Après ta résidence aux urgences, tu as décidé de poursuivre encore un peu ta formation en effectuant un stage postdoctoral en chirurgie. Toujours dans l’optique de travailler comme urgentiste, bien sûr, mais en ayant une corde de plus à ton arc. Si au départ, t’as fait le choix de la médecine pour satisfaire tes parents qui voulaient te voir faire quelque chose de “prestigieux”, tu t’es vite rendu compte que c’était une véritable vocation pour toi. T’as besoin de te sentir utile, de voir que tu fais une différence, de ressentir l’adrénaline à chaque nouveau patient. Même si tu ne peux pas tous les sauver, et que ton cœur se brise à chaque fois que tu perds un patient. Tu ne changerais pour rien au monde.
12 | Ton diplôme définitivement en poche, à l’aube de tes trente ans, tu as décidé de faire un enfant. Seule. Choix qui était dû à plusieurs facteurs. Le premier était tout simplement que tu avais envie d’être mère. Depuis toujours. Le second était que tu n’avais encore jamais réussi à maintenir une relation durable avec qui que ce soit. A la fois parce que tes horaires de fous rebutaient souvent tes conquêtes, et parce que toi même, t’avais pas vraiment envie de t’engager. L’exemple du mariage de tes parents t’avais considérablement refroidie concernant les bienfaits de la vie de coupe. Le troisième point était tout simplement qu’étant lesbienne, les démarches que tu devrait faire pour avoir un enfant - que ce soit par adoption ou insémination artificielle - seraient strictement les mêmes que tu sois seule ou en couple. Alors pourquoi attendre. Ce qui nous amène au quatrième point : Vu l’énergie que bouffe à la fois ton métier et le fait d’avoir un bébé, il te paraissait plus judicieux de faire ça aussi jeune que possible - sans compter le fait que ce sont des démarches qui peuvent prendre beaucoup de temps à se concrétiser.
13 | De l’adoption ou de l’insémination, t’as choisi la seconde option. Si d’un point de vue logistique, la première aurait peut-être été plus logique, t’avais toujours voulu expérimenter ce “miracle” qu’est la grossesse. Et si tu peux dire sans hésiter que l’expression est sans doute un poil exagérée, tu as adoré ça. Malgré les inconvénients évidents, t’as pas regretté une seule seconde ce choix. Tu as donc fait appel à un donneur anonyme, n’ayant aucune intention de connaître le géniteur de ton enfant, et par chance pour toi, tu es tombée enceinte assez rapidement. Plus vite que tu ne pensais en tout cas.
14 | Junon a vu le jour le cinq juillet 2001, quelques semaines tout juste avant ton trentième anniversaire. Dès l’instant où tes yeux se sont posés sur elle, t’as su que t’étais fichue. Qu’elle était désormais tout ton monde et que ton monde ne tournerait plus qu’autour d’elle. D’autant que t’étais sa seule famille. T’avais même pas prévenu tes parents de ta grossesse, n’ayant aucune envie d’entendre leur avis sur tes choix. D’autant qu’eux même n’ont jamais vraiment cherché à avoir de tes nouvelles. Tu leur a malgré tout fait parvenir un faire-part, pour les prévenir de la naissance de leur petite-fille, mais t’as jamais eu de réponse. Ni de ton frère ou de ta sœur d’ailleurs. Tant pis pour eux, tant mieux pour toi. T’avais de toute façon pas l’intention de les impliquer particulièrement dans la vie de ta fille.
15 | Les premiers temps après ton retour au travail ont demandé une certaine adaptation, mais t’as fini par trouver ton rythme et ton organisation. Ton objectif était d’être aussi présente que possible pour elle sans pour autant négliger ton travail, qui restait très important pour toi. Équilibre fragile mais que tu penses avoir su maintenir un maximum. Certains jours étaient plus durs que d’autres, mais de savoir que quand tu rentrerais chez toi après le travail, tu retrouverais son beau sourire et ses yeux malicieux, ça rendait toujours ton fardeau plus léger. En regardant grandir ce petit être que tu avais créé, tu t’es aussi posé beaucoup de questions, notamment sur ta propre enfance. Étant désormais toi-même mère, ta propre relation avec tes parents t’es apparue comme encore plus malsaine et incompréhensible. Comment peut-on avoir autant d’indifférence envers sa propre fille ? Encore aujourd’hui, ça t’échappe, mais t’as fait la paix avec ça. T’as su ne pas reproduire leur schéma, et même si tout n’est pas toujours rose dans ta relation avec Junon, au moins elle ne peut pas douter de ton amour pour elle.
16 | Puis un jour, t’as reçu un appel t'annonçant la mort de tes parents. Un bête accident de voiture. Ayant depuis longtemps fait le deuil de ta famille, t’as pas été aussi peinée que tu n’aurais pu, mais ça t’as malgré tout fait un pincement au cœur. T’as hésité, longtemps, avant de te décider à retourner en Angleterre pour les funérailles. T’y es allée, emmenant avec toi ta fille, qui a posé à cette occasion pour la première fois le pied sur la terre de ses ancêtres. T’as revu ton frère, ta sœur, que les années n’ont pas vraiment fait changer, t’as rencontré leurs familles respectives, sachant très bien que vos futurs contacts seraient très limités. Ce fut d’ailleurs la seule et unique fois que Junon a vu ses cousins.
17 | Pour toi, le retour au bercail a été source de beaucoup d’émotions, pour la plupart assez difficiles. Tu t’es remémoré toute ton enfance, ton adolescence, tout ce que tu as fui et les quelques choses qui t’ont manqué. L’odeur du jardin de la propriété familiale, les rues de Londres, l’accent britannique. Mais tout aussi difficile qu’a été ce voyage, il aura aussi été cathartique. Ca t’as permis de faire définitivement une croix sur ton passé, de réaliser que ta vie était à Washington et pas ailleurs, et surtout que t’étais extrêmement heureuse de l’existence que tu avais su te construire. T’es restée que quelques jours, mais t’as très vite eu envie de repartir.
18 | D’autant plus que qui dit décès, dit héritage, et qui dit héritage, dit querelle. Surtout quand l’héritage est question est relativement conséquent. Le titre de ton père, naturellement, revenait à ton frère, tout comme le domaine qui allait avec. Pour ce qui est de l’argent - et ils en avait, radins qu’ils étaient - leur testament vous le partageait en parts égales (ce qui n’a d’ailleurs pas manqué de te surprendre). Ce qui n’était pas du tout du goût de ton frère, qui estimait qu’en tant qu’héritier du titre, tout devait lui revenir, ni de ta sœur, qui estimait que tu ne méritais rien, ayant déserté la famille depuis longtemps. Cela vous a valu quelques belles engueulades, mais le testament étant tout à fait valide, ils n’avaient aucun recours. Et tu es repartie de l’autre côté de l’Atlantique délestée de ta famille et de tes souvenirs, mais avec un compte en banque bien plus fourni qu’au départ.
19 | A l’adolescence, ta relation avec Junon s’est un peu compliquée. Sans doute guère plus que pour d’autres parents avec leur ados, rien de fondamentalement dramatique, mais tout de même. Il faut dire que vous êtes sur beaucoup de points diamétralement opposées, notamment au niveau du caractère. Ce qui vous a valu quelques disputes hautes en couleur, qui t’ont toujours laissée dans un état lamentable. Tu détestes être en conflit avec elle, même si tu sais que ce n’est sans doute qu’une phase tout à fait naturelle. D’autant que tu ne peux pas tellement reprocher à ta fille de se rebeller un peu, l’ayant toi même fait au même âge, bien que dans des circonstances bien différentes. Il faut dire aussi que si toi t’as manqué d’affection de la part de tes parents, elle, c’est sans doute l’inverse. Tu es une vraie mère poule, et pour une ado, c’est sans doute pas l’idéal. Mais t’as bon espoir que ça passe avec le temps.
20 | Une de tes caractéristiques physiques dont tu es le plus fière, ce sont tes cheveux. Ils sont épais, ondulés, poussent à une vitesse folle, et tu en prends particulièrement soin. | Tu portes toujours pas mal de bijoux, et particulièrement des bagues. C’est un peu ton péché mignon. | T’es allergiques aux piqûres d'hyménoptères, c'est-à-dire d’abeille, de guêpe, de frelon et de bourdon. T’as eu une réaction assez sévère enfant, mais par chance tu n’as plus été piquée depuis. | En bonne anglaise, tu ne jure que par le thé. T’as rien contre le café, mais ça ne vaut définitivement pas le breuvage national de chez toi.