JAZZ | S'il faut mourir, autant vivre à en crever

« Tiens, comme ça tu m'oublieras pas ! » lâcha la petite Jazz en posant son dessin sur le cercueil de son père. Elle voyait tout le monde pleurer autour d'elle. Ses ballerines roses à paillettes faisaient tâche dans le décor et tranchaient avec sa petite robe noire mais sa mère n'avait pas eu le courage de batailler plus longtemps pour lui faire enfiler autre chose. Jazz tenait à ses ballerines roses, celles que son père lui avait acheté le week-end dernier. Elle voulait lui faire plaisir, elle ne voyait pas où était le mal. Des larmes traçaient des sillons sur les joues de sa mère, son frère aussi, et la plupart des gens autour. Jazz avait pleuré aussi, comme tout le monde même si elle ne savait pas trop pourquoi. Alors elle avait serré son frère dans ses bras et ils étaient rentrés à la maison dans un silence angoissant. Quelques jours plus tard, ils faisaient leurs bagages. Le voyage avait été long, c'était l'autre bout du monde et pour l'impatiente petite fille qu'elle était déjà, ça lui avait paru durer des jours. Pour elle, il faisait trop chaud et elle parlait mal l'anglais en dehors du vocabulaire de base et Jazz était un peu timide à l'égard de sa grand-mère. Cela faisait quelques jours qu'ils étaient à Washington quand Jazz demanda à sa mère « Il nous rejoint quand papa ? » qui changea aussitôt de couleur « On en a déjà parlé chérie, papa... il est plus là » un sourire forcé et triste étirait ses lèvres. Jazz pencha la tête sur le côté « Oui d'accord il est mort, mais il revient quand ? » Sa mère soupira et dut tout réexpliquer à Jazz. Mais son cerveau de fillette de six ans ne pouvait pas admettre que la mort était une chose définitive. Elle ne pouvait pas ou ne voulait pas comprendre qu'elle ne reverrait jamais son père, qu'elle ne mangerait plus jamais ses délicieux pancakes au sirop d'érable au petit déjeuner, qu'il n'allait pas construire cette cabane dans les arbres qu'il leur avait promis. Les larmes de Jazz finirent par remonter à ses yeux et par déborder. Elle commençait enfin à comprendre...

Jusqu'à présent, Jazz avait toujours été attirée par des garçons... des mauvais garçons d'ailleurs. Allez savoir pourquoi elle se dirigeait inlassablement vers le style "bad boy" et pas fréquentable ! Son regard ne s'était jamais vraiment porté sur les femmes. Bien sûr elle en trouvait certaines belles mais elle n'avait jamais porté sa réflexion plus loin à ce sujet jusqu'à une soirée lorsqu'elle avait dix-sept ans. Il y avait cette fille avec qui elle avait bien accroché et elles étaient restées ensemble toute la soirée, le soir venu, elle avait embrassé Jazz qui fut la première surprise de ne pas la repousser. C'était... plutôt chouette. Elles ont passé la nuit à s'embrasser et à se câliner, ce n'est pas allé plus loin ce soir-là. Était-ce uniquement parce qu'elles avaient un peu trop bu ? La fatigue ? L'ambiance ? Jazz ne savait pas trop quoi en penser alors elle avait simplement préféré ne pas en parler. Mais après ça, elle a un peu plus regarder les femmes, cherchant à savoir si elle pouvait vouloir la même chose d'une femme que d'un homme. Elle avait recroisé la fille lors d'une soirée quelques semaines après, cette fois elles avaient échangé leurs numéros. Et elles avaient flirté sans être sous l'emprise de l'alcool. Pas de doute, ces fourmillements dans le ventre indiquaient bien à Jazz que cette fille lui faisait de l'effet. Après quelques temps à se fréquenter officieusement, elles avaient couché ensemble et avaient tenté de se mettre en couple. Restait maintenant à annoncer ça à son frère. A vrai dire, ça tombait plutôt bien car elle espérait une chose : qu'il fasse de même. Cela faisait déjà longtemps que Jazz soupçonnait son frère d'être plus attiré par les hommes même si elle l'avait vu avec des filles. Lorsqu'une fois, il n'avait même pas eu un mouvement de recul lorsque l'ex de Jazz s'était dangereusement approché de ses lèvres, les soupçons de Jazz s'étaient élevés à hauteur de quatre-vingt-dix pourcent. Oui, elle se gardait une petite marge, au cas où, mais elle savait bien ce qu'elle voyait. Il y a des regards qui ne trompent pas, surtout quand on a passé presque neuf mois dans le même bidon et qu'on grandit ensemble depuis plus de dix-sept ans.

Jazz entra sans frapper dans la chambre de son frère et se vautra sur le lit en levant la tête vers lui. « Bon, faut que j'te parle » dit-elle de manière très (trop ?) détendue « La première nouvelle, c'est que je suis en couple. La deuxième nouvelle, c'est que c'est une fille. Celle avec qui je t'ai dis que j'avais bien rigolé en soirée. » Oui, elle s'était abstenue de lui donner les détails tant qu'elle-même ne savait pas quoi en penser. « Oh et y'a que deux réponses possibles à ça : "génial, je suis content pour toi" ou pas de réponse. » Les secondes de silence qui suivirent lui parurent assez longues. Elle pouvait presque voir les méninges de son frère tourner dans ses yeux avant de finalement lâcher un « Génial, je suis content pour toi ! » qui fit rire Jazz. « Et toi, t'as rien à me dire ? » dit-elle en s'asseyant en tailleurs sur le lit. Nouveau bug de son jumeau. « Quoi et moi ? J'suis pas en couple avec une fille, pas en ce moment » Jazz plissa les yeux. Bon, elle allait devoir lui tirer les vers du nez. « Quoi, c'est tout ? J'te dis que j'aime les mecs et les filles, ça te donne pas envie de me dire un truc ? » Son frère soupira « Ouais bon je crois que... » il se gratta la tête alors que Jazz était pendue à ses lèvres « Enfin je pense que les mecs me plaisent bien aussi... » Jazz poussa un cri de joie beaucoup plus expressif que prévu « ENFIN !!!! Tu sais que ça fait genre au moins trois ans que j'attends que tu m'en parles ? » Le moins qu'on puisse dire c'est que son frère était surpris. Un tel haussement de sourcil était éloquent « Hein ?? Mais ça fait même pas un an que j'me pose la question » Jazz haussa les épaules « Ben faut croire que j'me la suis posée avant toi » A le regarder, on aurait dit que Jazz venait de lui faire la révélation de l'année. « Comment c'est possible ? J'ai jamais flirté avec un mec » Jazz ne put s'empêcher d'avoir un léger rire « Pas besoin, y'a des regards et des attitudes qui trompent pas.... Puis tu bouffais mon ex des yeux j'te signale ! » rajouta-t-elle. Déjà qu'il avait des yeux de poisson rouge, Jazz cru qu'ils allaient sauter de leurs orbites. « Hein ? Mais non jamais de la vie ! » « Ah si si, parce que moi je le regardais comme ça » Il secoua la tête en riant nerveusement « J'avais aucune envie de te piquer ton mec » « C'est pas ce que je dis » lui dit-elle d'un ton rassurant « J'dis juste qu'il te faisait plus d'effet que ce que tu voulais bien admettre. Il s'est rendu compte de rien mais moi si. » Taz baissa la tête et haussa une épaule hésitante « Peut-être un peu ouais... » Jazz esquissa un sourire. Ils parlèrent longuement de ça. Elle lui parla de toutes les fois où elle avait douté sans que lui-même ne s'en rende compte. De toutes les fois où elle avait cru qu'il lui en parlerait mais qu'il ne l'avait pas fait. Il réussit bien entendu à dévier le sujet sur la nouvelle copine de Jazz. « T'en as parlé à maman ? » Jazz secoua doucement la tête. « Nop, t'es le premier. J'sais pas trop comment le dire... » Jazz haussa les épaules « Si j'lui dis la même chose qu'à toi, tu crois que ça passera ? » demanda-t-elle en riant. Elle avait tenté le coup. Ça n'avait pas été tout à fait pareil... sa mère avait bien entendu dit qu'elle était heureuse pour Jazz si Jazz était heureuse mais elle ne leurrait personne sur sa réticence et sur son espoir que ce ne soit qu'une phase et que sa fille lui donne des petits-enfants.

Deux ans... Ça faisait deux ans que ça durait cette histoire. Taz et sa... pouffiasse adultère et égoïste. Il était amoureux, c'était le plus triste dans cette histoire. Et c'était peut-être la raison qui empêchait Jazz d'aller tomber sur cette gonzesse pour lui expliquer sa façon de penser et la menacer de toute la force dont elle était capable. Ce n'était pas l'envie qui manquait de débouler chez elle, menacer de tout débaler à son mari... Mais cela blesserait Taz et lui retomberait dessus... Taz était un grand garçon, il devait se débrouiller tout seul sans que Jazz ne s'en mêle. Bien sûr, elle n'avait pas caché à Taz son ressentit, dès qu'elle en avait l'occasion elle lui répétait à quel point c'était une mauvaise idée, qu'il fallait qu'il rompe avec elle, que tout ça était voué à l'échec, et elle avait utilisé de multiples noms d'oiseaux pour la définir ... « Nan mais j'te jure, ça me rend dingue ! » se plaigna-t-elle a sa petite amie du moment qui lui caressait affectueusement les cheveux « Il devient complètement abruti ! C'est déjà pas une flèche, mais là ... Elle se sert de lui et lui, comme un con, il est prêt à absolument tout pour elle ! Elle lui dirait de sauter d'un pont, il demanderait de quelle hauteur » Jazz poussa un long soupire. Ça ne devait pas être agréable de l'écouter se plaindre mais sa copine l'écoutait. « Et pourquoi tu vas pas la voir cette femme ? » Jazz soupira, elle y avait déjà pensé de nombreuses fois. « C'est pas à moi de m'en mêler... Il doit prendre ses décisions tout seul même si celle-là est particulièrement mauvaise... Puis si elle rompt avec lui à cause de moi, il va m'en vouloir » C'était vraiment une situation de merde. Mais comme si le destin avait décidé de faire son job, l'autre pétasse quitta son frère. Une part de Jazz était ravie... mais elle était bien trop occupée à ramasser son jumeau à la petite cuillère pour pouvoir se réjouir. Elle aurait voulu lui dire je te l'avais dit mais ce n'était pas le moment... Il était... Brisé. Jazz a attendu que Taz s'endorme pour rejoindre sa copine de l'autre côté du palier. « Il est dans un sale état... »  « Mais au moins, il est plus avec elle, c'est une bonne chose, non ? » Jazz soupira..  oui et non ... « Ouais... mais il est au fond du trou alors je sais pas... Puis c'est venu de nulle part. Apparemment une nana l'a menacée de tout dire au mari alors elle a choisi son mariage de merde. » Si elle avait quitté son mari, elle aurait peut-être gagné un tout petit riquiqui bout de crédit aux yeux de Jazz mais ça restait une connasse.  « C'était moi » « De quoi toi ? » demanda Jazz en haussant un sourcil  « La fille, c'était moi » Jazz entrouvrit la bouche sans qu'aucun son n'en sorte  « T'avais peur que ton frère t'en veuille alors j'ai pensé que je pouvais y aller moi » à en juger par son sourire, elle pensait avoir bien fait. Le regard de Jazz s'assombrit et ses poings se serrèrent. « T'es pas sérieuse là ? » son sourire commença à disparaître, elle leva la main pour toucher le bras de Jazz qui l'a repoussa violemment « Nan mais même pas tu me touches en fait ! » ça faisait quoi... six mois qu'elles étaient ensemble ? « Pour qui te prends ? Si je suis restée en dehors de ça c'est sûrement pas pour que tu viennes jouer les héros alors que ça te regarde même pas ! T'es personne, PERSONNE pour te mêler de la vie de mon frère ! Sortir avec moi t'autorise pas à fourrer ton putain de nez dans les embrouilles de mon jumeau ! Je suis la seule à y avoir droit alors si moi je le fais pas, personne ne le fait, c'est clair ? »  « Hm oui désolée... Mais » « Y'a pas de "mais". Je veux plus te voir. T'éffaces mon numéro. T'oublies mon adresse, t'oublies mon nom. Si tu me croises dans la rue, tu changes de trottoir. Si j'te revois sur ma route, j'te détruit. » comme elle venait de détruire son frère. Jazz s'était rarement exprimée avec tant de colère et de froideur.

Dans sa vie, Jazz avait eu d'assez nombreux partenaires, que ce soit des hommes ou des femmes. Se mettre en couple ne la freinait pas plus que ça parce qu'après tout : soit ça marche, soit ça ne marche pas. En revanche, s'installer ensemble, se marier, cce genre de projets... ça ne l'attirait pas plus que ça pour le moment. Elle n'était pas prête à laisser entrer quelqu'un un peu trop intensément dans sa vie. La plupart de ses relations n'ont pas été très sérieuses jusqu'à ce qu'elle rencontre Zach. Ça avait tout de suite matché entre eux alors qu'il était tellement différent des types qu'elle avait l'habitude de fréquenter. Il était plus calme, plus sage, plus posé, plus  gentil... plus intelligent aussi. Loin des brutes machistes auxquelles elle s'était malgré elle habituée. C'était sans doute plus facile de rompre avec ces gars-là en leur reprochant leur comportement une fois lassée. Zach et Jazz n'ont pas pas mis très longtemps à officialiser leur couple après n'avoir eu de cesse de se tourner autour. Elle l'a parfois suivi dans ses voyages lorsque ça tombait avec ses vacances et si c'était très amusant au début... c'est vite devenu lourd pour Jazz. Sa vie, elle refusait de la mettre entre parenthèses pour quelqu'un d'autre. Alors elle a décidé de rester à Washington et se concentrer sur la fin de ses études. Zach partait souvent, parfois seulement quelques mois, parfois très longtemps, trop longtemps. Ils ont bien tenté de maintenir une relation à distance mais au final, il était presque plus souvent ailleurs qu'à Washington et ce n'était pas gérable. Ils avait rompu par la force des choses car une relation à distance ne fonctionnait pas. Même s'ils n'étaient plus ensemble, leur relation ne s'est jamais réellement terminée et à chaque retour de Zach dans la capitale, ils remettaient le couvert mais jamais rien d'officiel. De son côté, Jazz continuait à avoir des aventures, certaines un peu plus durables que d'autres tout en travaillant d'arrache-pied dans ses études. Elle avait un petit job de barmaid à côté en complément de sa bourse d'étude. Avec tout ça, il était courant qu'elle prenne quelques pilules pour se maintenir éveillée.

Jazz mit de la glace sur son bras avant d'étaler du fond de teint sur son visage. Elle ne pouvait décemment pas sortir avec cette pommette violette. Après une dispute, son mec s'était emporté et lui avait mis un coup, manque de pot, en partant en arrière, Jazz avait trébuché sur la table basse et s'était bien défoncé le bras et le dos. Il s'était platement excusé, tellement excusé que Jazz avait fini par soupirer et lui dire que ce n'était pas grave. Après tout, qui n'avait jamais pété un câble et poussé le bouchon un peu trop loin. S'il n'y avait pas eu cette table derrière elle, ce ne serait qu'un bleu ridicule. Les disputes, les "accidents" c'était de plus en plus souvent. Ils pouvaient passer des semaines sans le moindre désaccord et que Jazz se retrouve par terre dès le lendemain. Chaque fois, elle se disait qu'elle allait lui rentrer dedans et chaque fois, elle lui pardonnait. Un concours de circonstances, elle-même l'avait déjà frappé alors ce n'était pas si différent. La seule chose qui changeait, c'était l'équilibre des forces. Le pire dans tout ça, c'est que Jazz n'avait pas peur de lui comme pouvaient l'être certaines femmes battues. Elle avait simplement... pitié ? Chaque fois qu'elle se prenait un coup, il s'excusait comme jamais, promettait que ça n'arriverait plus, la couvrait de cadeaux pour se faire pardonner. Pour autant, ce n'était jamais vraiment la dernière. Elle ne se rendait même pas compte qu'elle lui pardonnait chaque fois, qu'elle lui trouvait toujours une bonne excuse pour dédramatiser ses actes. Jusqu'à cette fameuse discussion qu'elle avait eu avec son jumeau. Il avait des doutes depuis longtemps, Jazz ne s'habillait pas assez pour couvrir toutes les ecchymoses. Des excuses, encore et toujours des excuses. Mais son frère avait raison sur un point... Si c'était lui qui avait un petit-ami qui lui tapait dessus, même "par accident" Jazz serait dingue. Il avait raison, elle devait mettre fin à tout ça... Plus d'une fois, Jazz avait dit à son mec que plus jamais il ne lèverait la main sur elle, elle avait été claire. Du moins, elle avait eu la sensation de l'être et pourtant elle-même n'avait toujours pas foutu le camp. Qu'est-ce qui la retenait ? Ils n'avaient pas d'enfants malgré le désir de son petit-ami, ils n'étaient pas mariés, ils ne vivaient même pas ensemble. Jazz avait attendu un peu pour trouver comment lui annoncer qu'elle voulait rompre. Elle ne se voyait pas annoncer qu'elle le quittait à un moment où les choses se passaient relativement bien. Enfin... ne se passaient pas mal. Mais plus ça allait, moins elle supportait qu'il la touche, même affectueusement. Des sentiments ? Ceux qui la faisaient rester malgré tout ça s'étaient envolés. Alors elle avait pris son courage à deux mains pour lui dire. « Il faut qu'on parle » au son de sa voix, il avait comprit qu'il n'allait pas aimer ce qui suivrait. Quand Jazz lui annonça qu'elle voulait rompre, il s'est mis en colère. Jazz a eu un mouvement de recul, elle savait comment ça finissait quand il était énervé et là... il l'était encore plus que d'habitude. Elle eu à peine le temps de voir le coup de poing arrivé qu'elle valsa contre le plan de travail de la cuisine et sans comprendre ce qui se passait elle se retrouva avec une main plaquée contre la gorge, bloquée contre le placard en bois. Sa main cherchait la moindre chose pour se défendre et rencontra enfin quelque chose : une bouteille de vin posée là, Jazz l'attrapa aussi fermement que possible et l’abattit de toutes ses forces contre le crâne de son assaillant. En lâchant sa gorge, une bouffée d'oxygène vint emplir ses poumons en lui faisait brièvement tourner la tête. Jazz regarda la bouteille brisée dans sa main, elle qui pensait qu'il n'y avait que dans les films que ça s'éclatait de cette manière... Son mec était sonné, il y avait du sang par terre à cause du verre. Jazz le regarda sans trop savoir quoi dire ni quoi faire. Il finit par se redresser, s'est mis à l'insulter comme jamais. « Sors de chez moi. » dit-elle en rassemblant toute l'assurance qu'elle pouvait. En le voyant prendre appuie sur le plan de travail pour se relever, elle avait peur cette fois, sans aucun doute. Elle tenait toujours ce qui restait de la bouteille par le goulot, devant elle telle une arme, luttant de tout son être pour ne pas trembler et ne pas s'écrouler. Elle n'avait jamais vu ce regard rempli de haine chez lui. Quand il essaya de s'attaquer à nouveau à elle, elle lui planta le tesson de bouteille entre les côtes. Il s'écroula. Comme beaucoup de sang coulait, elle fut bien forcée d'appeler les urgences.... Quelques heures plus tard, elle apprit qu'il était hors de danger. Au moins, il n'avait pas eu le culot de porter plainte contre elle. Pendant les semaines, même les mois qui suivirent, elle avait toujours peur qu'il se pointe chez elle, mais elle ne l'a jamais revu.  Elle se demandait encore comment avec des hommes sans sa vie comme Taz, Zach ou Noah, des gars prêts à se battre pour elle, elle avait pu laisser les choses dégénérer ainsi. Mais elle s'est juré de ne plus jamais laisser un homme lever la main sur elle de cette façon. La première fois serait la dernière.

Jazz était partagée entre deux états d'esprit. Une partie d'elle voulait étrangler son frère, lui botter le cul, lui foutre la dérouillée du siècle pour avoir été aussi con. L'autre partie était juste... totalement et irrémédiablement effondrée. Coupable... le verdict résonnait en boucle comme un écho dans la tête de Jazz. Comment son frère avait-il pu écoper de deux ans à cause de cette merde ? Et dire que rien de tout ça ne serait arrivé sans l'autre connasse. Enfin Jazz n'était pas vraiment en état de penser à elle. Elle ne réalisait pas que son frère allait faire de la prison. Et pas seulement pour quelques mois mais pendant deux longues années. Comment allait-elle survivre à deux ans sans son frère de l'autre côté du pallier ? Chez qui allait-elle se réfugier en cas d'orage ? Quand elle avait la trouille ? Quand elle entendait un bruit et craignait que son ex revienne chez elle pour se venger ? Quand elle avait juste... besoin de lui ... Jazz prit son visage entre ses mains, autour d'elle, tout n'était plus qu'un bourdonnement indistinct.  Elle releva les yeux vers son jumeau et déglutit quand leurs regards se croisèrent. La minute d’après, ils l’emmenaient loin d’elle… Jazz sortit fébrile du tribunal et s’écroula sur un banc. Deux ans… Elle avait envie de pleurer mais aucune larme ne voulait franchir ses paupières. Sa gorge était tellement serrée qu’elle peinait à respirer. Jazz et Taz ne faisaient pas partie de ces jumeaux qui devaient être ensemble H24 et étaient malsainement intrusifs dans la vie de l’autre. Ils pouvaient faire leur vie chacun de leur côté mais… ils se parlaient quand même tous les jours, même si c’était pour se demander si l’autre avait encore de la farine. S’ils n’habitaient plus ensemble depuis qu’ils avaient l’âge d’être indépendants, ils avaient quand même fait en sorte de trouver un immeuble où deux appartements du même pallier étaient libres pour rester proches en cas de besoin. Jamais ils n’avaient été séparés de cette façon. Taz en prison… lui et son addiction, comment allait-il supporter ce sevrage forcé ? Au milieu de ces criminels, qu’allait-il lui arriver avec sa bouche en forme de trois et ses grands yeux de biche ? Taz avait la tête de la victime idéale… c’était comme s’il avait un écriteau « frappez-moi » accroché dans le dos ou pire… Les légendes sur les douches en prison ne sont pas que des légendes. Elle imaginait déjà les pires scenarios pour son frère…

Deux ans. Deux ans, ça avait été foutrement long. Jazz n’avait pas beaucoup dormi. Elle essayait d’aller voir Taz tous les jours mais bien souvent les heures de visites ne concordaient pas avec les heures où Jazz était libre. Les études de médecine, ça bouffait pas mal de son temps… Autant dire qu’elle en avait chier pour ne pas retaper une nouvelle année. Nombre de fois, elle avait séché ou trouver des excuses bidons pour se rendre en prison. C’était horrible de ne pas pouvoir prendre son frère dans ses bras, de ne pas être totalement seuls pour se parler. Le voir comme ça, ça lui brisait le cœur. Mais c’était terminé. Aujourd’hui, il sortait enfin. Jazz était arrivée avec deux bonnes heures d’avance sur place, elle l’attendait impatiemment, regardant l’heure sur son portable toutes les cinq secondes, comme si ça allait faire passer le temps plus rapidement. C’est alors qu’elle vit enfin les portes s’ouvrir, elle vit la silhouette de son frère approcher. Jazz sentit les larmes lui monter aux yeux mais de bonnes larmes cette fois-ci. C’était de la joie. Personne ne pouvait lui gâcher ce moment. Jamais ils ne s’étaient étreints aussi fort. Tellement que ça devenait difficile de respirer. Quand ils se lâchèrent, Jazz s’essuya les yeux et lâcha simplement « Tu m’a manqué ». Pendant quelques temps, il squatta chez Jazz même si elle avait prit soin de continuer à payer le loyer de Taz pendant ces deux dernières années, en plus du sien, pour s’assurer que personne ne puisse louer son appartement pendant son absence. Ils avaient besoin d’être l’un avec l’autre, plus proches que jamais pour rattraper le temps perdu.