Un bruit d'éclat de verre résonna.
Mierda... lâcha Gaïa en voyant l'énorme trou dans la vitre de l'étage. Elle n'avait pas survécu à un coup dans un ballon un peu trop puissant. Du haut de ses quatorze ans, Gaïa jeta un œil aux plus petits, paniqués à l'idée d'être punis. On leur avait dit plus d'une fois d'aller jouer plus loin et l'accident était arrivé. Il ne fallut pas longtemps avant que l'une des dames de l'orphelinat arrive en trombe en cherchant le coupable. Il ne fallut qu'une fraction de seconde pour que Gaïa s'interpose sur son chemin.
Désolée, c'est ma faute, j'ai tapé trop fort, je sais qu'on devait pas jouer ici mais j'en ai fais qu'à ma tête dit-elle sous le regard perdu des enfants. Gaïa, elle était seulement allongée dans l'herbe à regarder le ciel, un brin d'herbe dans la bouche quand c'était arrivé. Mais elle avait l'habitude. C'était la coupable idéale, une adolescente rebelle qui détestait l'orphelinat, qui détestait l'école, détestait ses profs, détestait les règles, détestait cette société, ne rentrait jamais tout de suite après les cours malgré les réprimandes, riait au nez de la fameuse "égalité de chances", jouait des mauvais tours au personnel de l'orphelinat, se battait, faisait le mur pour sortir et grimpait en secret la nuit sur le toit pour fumer une cigarette. Elle avait compris depuis bien longtemps qu'elle resterait là jusqu'à sa majorité. Si elle avait encore une infime chance jusqu'à six ou sept ans, maintenant c'était mort. Quelque part, elle comprenait. Quel parent voudrait d'un ado ? C'était la pire période, ils auraient tous les désavantages sans les avantages. Avoir des parents, elle avait fait une croix dessus et s'efforçait de donner l'espoir qu'elle n'avait plus aux petits qui avaient encore leurs chances. Elle voyait rapidement partir les bébés et les moins de trois ans mais certains, comme elle, étaient déjà trop vieux, pour eux, c'était foutu. Une bande de mômes désillusionnés qui regardaient les années passer sans rien pouvoir faire que d'attendre... attendre d'être lâchés dans le monde du jour au lendemain. C'était pour eux que Gaïa se battait car ils étaient la seule famille qu'elle n'aurait jamais. Ce soir-là, Gaïa avait été punie pour la fenêtre cassée. Elle avait mangé seule, isolée des autres et privée de dessert. Une prison cet orphelinat, c'était comme ça qu'elle le voyait et, au fond, elle enviait ceux qui s'y sentaient relativement bien. La brune, elle était perdue. Elle n'avait qu'une hâte : se barrer d'ici et avoir le contrôle de sa vie ! Pourtant... elle était terrifiée à l'idée de partir et de se retrouver seule au monde. C'était la plus vieille, la première qui allait quitter cet endroit maudit où elle avait grandit, laissant derrière elle ces gamins qui n'auraient plus leur grande-sœur protectrice. La brunette secoua la tête, elle avait encore des années pour penser à tout ça ... Elle écrasa sa cigarette et descendit du toit en se glissant discrètement par la fenêtre pour rejoindre son lit.
Gaïa avait fait le mur pour aller à cette fête. Les parents de son ami n'étaient pas là et il avait la maison pour lui seul tout le week-end alors : fête de folie et alcool à gogo ! La brunette était déjà bien éméchée quand la sonnette retentit et si la musique n'avait pas été coupée et la lumière rallumée, elle aurait pensé que quelqu'un avait fait appel à des strip-teaseurs. Les vieux connards de voisins avaient appelé la police à cause de ces "jeunes" qui faisaient trop de bruit avec leur musique, sans parler de ceux qui se bécotaient allègrement sous le porche. Il n'y avait presque que des mineurs ce soir et pas un seul n'était sobre...
Joder de mierda la sortie était bouclée, impossible de tenter de s'enfuir et elle avait trop bu pour être aussi douée que d'habitue pour escalader des murets. Les flics étaient en train d'appeler tous les parents. La honte ultime pour un adolescent.
« Ton nom et le numéro de tes parents » Gaïa regarda autour d'elle. Elle était la dernière invitée encore sur place. Devant l'absence de réponse de Gaïa, il répéta sa question et elle sera les dents.
J'en ai pas de parents mais ce n'était probablement pas la première fois que le jeune flic entendait ce mensonge. Sauf que pour Gaïa, c'était la vérité.
J'suis orpheline, cabrón A sa tronche gênée, il avait compris qu'elle disait la vérité.
« Alors ta famille d’accueil ou ton tuteur légal » Putain nan, elle ne pouvait pas se faire ramener à l'orphelinat dans une bagnole de flic sinon elle était morte.
Euuh ... ouais mais nan Gaïa soupira
Por favor, j'vous jure je rentre direct mais faut pas qu'ils sachent, j'vais vraiment me faire défoncer ! ce n'était sûrement pas la première fois non plus qu'il entendait ça, à juste titre ou non. Concernant Gaïa, elle était déjà sur liste noire à l'orphelinat. Une connerie de ce genre et ils allaient lui foutre un bracelet d’assignation à résidence jusqu'à sa majorité, ou un collier électrifié pour chiens. Elle n'était pas du tout coopérative pour donner les numéros de qui que ce soit mais elle le suppliait de fermer les yeux.
« Bon, ce qu'on va faire, c'est que tu vas me donner ton adresse. J'te ramène moi-même pour m'assurer que tu rentres bien » Gaïa plissa les yeux
Et pas de leçon de morale ? Pas d'entourloupe ? Vous balancez rien sur la fête de ce soir à personne ? C'était louche
« Pour la leçon de morale, je promet rien mais pour le reste c'est okay, mais j'te ferai pas de deuxième cadeau si j'te rechope à avoir bu » Juré ? « Juré. Alors, on a un deal ? » Il tendit sa main à Gaïa et elle la serra. De toute façon, elle n'avait pas trop d'autre solution que de lui faire confiance... Il avait tenu sa promesse. Il avait ramené Gaïa jusqu'à l'orphelinat et sans gyrophares. Étrangement, elle avait fini par lui parler. Répondre à ses questions, parler un peu de sa vie et de son histoire. Le fait qu'elle soit encore pompet' lui avait peut-être délié la langue.
« C'est marrant » Gaïa le regarda interloquée alors qu'ils descendaient de la voiture
« Je t'avoue que je pensais que t'étais juste une sale gosse de plus mais à parler avec toi, je réalise que t'es peut-être un peu trop mature pour ton âge » Pas étonnant. Combien d'ados de seize ans étaient déjà si blasés de la vie ? Réellement blasé, pas juste dans une période rebelle où on déteste le monde entier parce qu'être ado c'est trop nul. Gaïa, elle était consciente que dans deux ans, elle allait être à la rue. Parce qu'il ne fallait pas se leurrer, elle n'aurait pas un travail d'ici là pour subvenir à ses besoins et se louer un appart. Et ce réalisme, ça se sentait chez elle sous tous ces sourires en coin et ces œillades aguicheuses. Ils avaient eu un truc, une étincelle.
Bon... tu m'fais la courte échelle ? dit-elle avec un sourire. Mais bizarrement, elle n'avait pas envie de rentrer.
J'dois grimper dans l'arbre et passer de l'autre côté du mur et... j'suis encore légèrement bourrée avoua-t-elle en minaudant devant lui. Il rigola devant l'absurdité de cette situation et Gaïa le suivit. Pendant plusieurs heures, ils restèrent là à discuter de tout et de rien. Gaïa n'avait pas manqué de s'accrocher à son cou, d'effleurer ses lèvres avant qu'il ne se rappelle qu'il avait plus de vingt ans et qu'il était flic. Alors que le jour commençait à pointer le bout de son nez, Gaïa réussit à lui voler un baiser.. enfin.. un vol consenti, ses mains dans le creux de son dos traduisaient son propre désir. Gaïa se détacha de ses lèvres et crapahuta pour rejoindre sa fenêtre avant que tout le monde ne se réveille, laissant derrière elle ce flic sexy qui lui avait tenu compagnie toute la nuit. A califourchon sur le mur, elle lança
Si tu veux me revoir, j'serai encore là demain soir elle esquissa un sourire et disparut de l'autre côté du mur.
Assise sur sa branche d'arbre, Gaïa scrutait l'horizon nocturne avec une lueur d'espoir. Elle attendait de voir si son charmant policier allait pointer le bout de son nez. Bien qu'elle n'y croyait pas vraiment, elle avait une lueur d'espoir et voulait que sa curiosité soit satisfaite. Minuit. Il avait sûrement bien mieux à faire un samedi soir que de rejoindre une gamine qu'il avait vu une fois. Si ça se trouve, il était même en service. Mais Gaïa ne pouvait se résoudre à retourner se coucher, pas tout de suite. Une heure. Gaïa soupira. C'était mort maintenant. Qu'est-ce qui lui avait pris de croire qu'il allait venir ? Elle s'apprêtait à descendre quand des phares de voitures éclairèrent la pénombre. Plissant les yeux, elle attendit quelques minutes avant de voir la voiture s'arrêter et voir Kyle en descendre. Un sourire étira ses lèvres et elle se laissa pendre tête en bas à une branche, juste retenue par ses genoux.
J'pensais pas que tu viendrais vraiment « J'pensais pas non plus que je viendrais ». Pendant deux semaines, ils gardèrent ce petit rituel, essayer de se voir certains soirs, parler, s'embrasser. C'était son petit secret. Un secret qui avait ses limites. C'était difficile pour elle de ne pas se montrer en public, de ne pouvoir en parler à personne alors elle avait fini par craquer et parler de son flirt à la seule personne qui pouvait l'écouter.
« Un flic, sérieux ? » lui demanda J
J'ai craqué sur l'uniforme et les menottes lâcha-t-elle avec un sourire en coin et un haussement de sourcil aguicheur
« Ils vont être ravis à l'orphelinat quand tu vas leur ramener un flic majeur » Comme si elle allait leur dire quoi que ce soit ! Quoi que... si ça ne risquait pas d'attirer surtout des emmerdes à Kyle, elle aurait été ravie de voir leurs tronches
C'est pas dans mes plans de la présenter à la famille et d'organiser le mariage, j'ai déjà du mal à le persuader de céder et de coucher avec moi.. Et ce n'était pas faute d'essayer ! En plus de tous les sous-entendus, Gaïa lui faisait carrément du rentre-dedans mais chaque fois qu'elle pensait que c'était dans la poche, il se raisonnait. Elle n'avait que seize ans, lui une vingtaine d'années, il était flic. C'était carrément illégal s'ils couchaient ensemble. Au moins, ça avait le mérité de faire rire son meilleur ami
« J'lui donne même pas une semaine » Que Dieu t'entende ! dit-elle en riant. Et elle n'avait jamais été aussi ravie que J ait raison puisqu'il finit par céder quelques jours plus tard. Durant près de deux ans, ils se virent comme ça, en catimini. Mais du jour au lendemain, elle n'eut plus la moindre nouvelle de lui. Fini les rendez-vous à la tombée de la nuit, fini les cours séchés pour le retrouver. Quelques jours plus tard, elle voyait son nom dans la presse. Il était décédé dans l'exercice des ses fonctions... mais personne ne devait véritablement connaître l'existence de Gaïa alors comment quelqu'un aurait pu la prévenir ? Son cœur était totalement brisé.
Allez tous vous faire foutre ! Gaïa se leva et claqua la porte de sa salle de classe en ignorant les vociférations de son enseignant. Cela ne faisait que quelques jours qu'elle avait appris le décès de l'homme qu'elle aimait. Et elle ne pouvait expliquer à personne pourquoi elle était si renfrognée, pourquoi elle prenait la mouche pour rien, pourquoi elle se mettait subitement à pleurer sans aucune raison. Le seul qui savait, c'était J. Il était le seul à pouvoir l'écouter vider son sac et pleurer comme une dingue quand elle pensait à lui et qu'elle devait retenir ça toute la journée. Comment expliquer pourquoi elle était triste ? Chaque fois qu'elle avait vu Kyle, c'était en enfreignant le règlement. Les jours passaient et la souffrance de Gaïa semblait seulement capable de grandir. Elle avait l'impression qu'elle ne pourrait plus jamais être heureuse, ressentir cette légèreté, ce bonheur grisant quand elle était dans ses bras. Elle en voulait au monde entier de lui arracher un à un les gens qui l'aimaient. D'abord sa mère et maintenant l'amour de sa vie. Son père l'avait abandonnée, la seule famille qui avait voulu d'elle l'avait abandonnée. A croire que chaque instant de bonheur que le Ciel acceptait de lui accorder avait une durée limitée. Gaïa ne demandait pas la lune. Elle voulait juste une vie normale et pouvoir aimer quelqu'un sans qu'il lui arrive une merde.
« Gaïa, tu rentres ! » hurla la surveillante de l'orphelinat alors qu'elle s'était isolée dans le fond du jardin. La brunette se contenta de lever son majeur en l'air.
« Tout de suite ! » elle se redressa brusquement avant de la rejoindre
Et sinon quoi ? Hein ? Dans quelques mois vous serez débarrassés de moi ! De toute façon, vous en avez jamais rien eu à foutre de notre gueule à tous ! cracha-t-elle
On est juste des produits avec une date de péremption et on sait très bien que passé six ans, on a plus aucune chance alors pourquoi j'ferais des efforts pour obéir hein ? J'y gagne quoi ? Dès que j'ai quelque chose, on me l'enlève ! Il se passe quoi si je rentre pas "tout de suite" ? J'serai privée de dessert ? J'vais me prendre des coups de fouets ? Franchement, j'ai quoi à perdre hein ?! Gaïa ne pouvait pas expliquer son coup de gueule. Les deux femmes se gueulèrent l'une sur l'autre pendant de longues minutes, suffisamment fort pour ameuter tout l'orphelinat à la fenêtre. Puis la gifle tomba sur la joue de Gaïa et laissa un silence de mort pendant quelques secondes.
Crève. lâcha-t-elle froidement avant de courir vers la sortie pour qu'on ne puisse pas la rattraper. Une chose était sûre, elle ne s'attacherai plus jamais à personne. C'était trop dangereux et trop douloureux.
C'était aujourd'hui le jour fatidique ... Gaïa avait dix-huit ans. Elle allait quitter l'orphelinat. Laisser derrière elle l'endroit où elle avait avait passé les seize dernières années de sa vie. Laisser surtout derrière elle ces gosses avec qui elle avait grandi, qu'elle avait protégé, qu'elle avait couvert et qui l'avaient couverte, avec qui elle avait fait des conneries, avec qui elle avait ri à en pleurer, avec qui elle avait passé les pires et les meilleurs moments de sa vie. Elle avait rassemblé toutes ses affaires. C'était déprimant de réaliser que tout ce qu'elle possédait tenait dans un sac... Alors qu'elle refermait son sac, Gaïa avait la gorge serrée et une furieuse envie de pleurer. Mais elle ne devait pas. Elle devait rester forte. Elle devait sourire. Promettre à tous ces enfants qui allaient lui manquer que tout irait bien pour elle. Elle devait leur mentir afin qu'ils ne s'inquiètent pas. Ils ne devaient pas savoir qu'elle était terrorisée... Cet orphelinat, même si elle le détestait, c'était son seul repère, le seul point fixe de sa vie. Le lycée était terminé, elle n'avait ni les moyens ni l'envie de devenir étudiante. Il était hors de question qu’elle demande de l’aide à J. La seule chose qui s'offrait à elle, c'était de trouver du travail. Mais comment ? Les économies qu'elle avait, c'était l'héritage de sa mère qu'elle pouvait enfin toucher, ça lui permettrait de se retourner quelques temps mais il ne fallait pas rêver, ça ne tiendrait pas plusieurs années. Gaïa s'enferma seule un moment dans la salle de bain, il fallait qu'elle pleure. Si elle ne le faisait pas maintenant, elle allait le faire tout à l'heure devant ses frères et sœurs et elle ne pouvait pas se permettre ça. Alors elle resta assise par terre jusqu'à se sentir vidée puis elle attendit que ses yeux rougis reprennent leur couleur initiale. Après une grande inspiration, elle sortit de la salle de bain et récupéra son sac. Les adieux étaient difficiles. Les cinq-six ans qui l'avaient toujours connu pleuraient et ne voulaient pas qu'elle parte alors qu'ils ne se souviendraient pas de son nom d'ici quelques années. Elle ne voulait pas partir non plus, elle n'aurait jamais pensé vouloir rester ici... Les plus vieux allaient bientôt être dans la merde, comme elle.
Pleurez pas les nazes, j'suis une warrior ! lâcha-t-elle avec un immense sourire pour cacher sa tristesse
J'passerai régulièrement vous voir, vous inquiétez pas à la sortie du lycée et puis elle savait qu'ils faisaient le mur et qu'elle pouvait les retrouver à ce moment
Enfin... tant que j'ai le temps parce que si j'deviens riche et célèbre, ça va devenir coton, Hollywood c'est assez loin d'ici il fallait qu'elle fasse de l'humour. Il fallait qu'elle rie pour ne pas se remettre à pleurer, qu'elle les fasse rire plutôt que de voir leurs mines tristes. Ils avaient grandi tous ensemble, ils étaient une famille, une famille qu'ils s'étaient choisi quand personne n'avait voulu les choisir eux. Gaïa serra tout ce petit monde dans ses bras et franchit le grand portail. Elle ne se retourna pas car ses yeux étaient trop embués et elle n'avait pas la moindre idée d'où elle allait.
En quelques années, Gaïa avait fini par trouver ses marques. Les premiers temps, elle avait utilisé l'argent qu'elle avait de côté pour louer une chambre de motel par-ci par-là pour dormir avec un toit sur la tête. Impossible pour elle de gagner de l'argent légalement. Enfin, entendons par-là avec un salaire fixe. Elle s'était fait payé au black pour rendre des services à des boites qui voulaient faire des économies et ne pas déclarer certains trucs. Est-ce que se prostituer lui avait traversé l'esprit ? Il fallait être honnête, elle y avait pensé. C'était tentant cet argent facile. Facile, tout était relatif, certes. Sauf que voler et dormir sous les ponts avec un couteau planqué dans sa manche, ce n'était pas une vie. Ce qu'elle avait fini par faire, c'était mettre à profit ses dons pour le combat. A l'orphelinat, leurs libertés étaient limitées mais faire du sport en faisait partie. Gaïa pratiquait divers arts martiaux depuis jeune et aujourd'hui elle se battait vraiment bien... et pas toujours dans les règles ! Son maître en serait vert. Mais dans les combats illégaux, on se foutait pas mal des règles de bienséance, le but c'était surtout de mettre K.O son adversaire et tous les coups étaient permis. Elle ne pouvait pas se vanter de gagner à chaque fois, malheureusement, mais elle était une adversaire plus coriace qu'elle n'en avait l'air. Cette vie faite d'illégalité, elle en avait fait la sienne. Elle connaissait les moindres recoins de cette ville, elle avait des contacts, elle savait à qui parler, elle connaissait les balances du coin. C'était devenu son territoire. Dans les rues où elle traînait régulièrement, elle connaissait tout le monde et tout le monde la connaissait. C'était la fille qui semblait porter le poids du monde sur ses épaules, les yeux cernés de noir, on voyait pourtant parfois un semblant de sourire étirer ses lèvres devant les enfants. Elle n'emmerdait personne mais elle n'hésitait pas à mettre un couteau sous la gorge de ceux qui l'emmerdaient pour défendre le peu qu'elle avait. Gaïa, c'était une ombre. Il suffisait de détourner le regard pour qu'elle ait disparu dans une ruelle. Il lui arrivait de squatter le canapé de J mais elle restait rarement plus de quelques jours, le temps de prendre une douche, de se remplir l’estomac, de dormir sur ses deux oreilles le temps d’une nuit. Elle n'aimait pas être dépendante des autres même si ça faisait du bien de dormir au chaud sans risquer d'être agressée dans la nuit ou pire. Derrière ses grands airs sûre d'elle, elle était toujours cette gamine paumée et terrifiée qui était arrivée à deux ans et demi à l'orphelinat en voulant que sa maman vienne la chercher.
Gaïa, quand elle n'était pas pleine de poussière ou de sang séché, elle était mignonne. Elle le savait et il lui suffisait d'une douche, de vêtements propres et d'un peu de maquillage pour passer pour une étudiante. Depuis quelques temps, elle avait pris cette habitude de se taper l'incruste dans des soirées étudiantes, de picoler et de décompresser. Il lui était facile de s'envoyer en l'air avec des étudiants friqués, sportifs et pas très malins qui n'allaient pas se souvenir d'elle. Mais il y avait eu ce gars avec qui elle avait juste discuté, qui avait calé qu'elle n'était pas étudiante et ça les avait tous les deux fait rire. Il avait voulu la revoir... Pour elle, c'était impossible. Le dernier qu'elle avait "revu" il était mort et elle n'était toujours pas prête à oublier ça. Alors elle s'était simplement barré quand il avait eu le dos tourné.
« Donc c'est ici que tu te planques ? » Gaïa releva la tête surprise
Comment tu m'a retrouvée ? « Par ici, on peut avoir un peu ce qu'on veut avec une liasse de billets, quelqu'un a fini par me dire que tu traînais souvent dans une école abandonnée » Des infos contre du fric, c'était typique du coin ouais.
Jackpot ! Allez maintenant, tu dégages qu'il retourne dans sa baraque qui puait le fric. Il ne comprenait pas. Il avait rencontré une fille plutôt enjouée et souriante et il se retrouvait soudain face à une fille froide qui avait l'air prête à partir en guerre.
« Tu vaux mieux que de vivre comme ça » finit-il par dire. Gaïa soupira. C'était marrant. Elle avait déjà dit cette phrase à J et il la lui avait déjà dite aussi
Okay, tu veux tout savoir ? Elle pointa du doigt un tas de couvertures qu'il n'avait pas vu avant, en y regardant bien, trois tête chevelues endormies en dépassaient.
Tu vois ces gosses ? Les deux petits garçons, ils étaient à la rue avec leur mère. Ça m'arrivait de les surveiller pour qu'elle puisse se reposer un peu. Elle est décédée dans la rue et les gosses se sont retrouvés seuls. La petite fille, elle a trois ans seulement. Sa mère l'a vendu à un type contre de la drogue. Elle adresse la parole à personne sauf à moi parce qu'elle me fait confiance. Ces petits, ils ont plus personne pour veiller sur eux. Personne. J'fais ce que je peux pour qu'ils aient de la nourriture, des couvertures, qu'ils survivent. Tant qu'eux, ils sont à la rue, il est hors de question que je cherche à améliorer ma propre situation. Maintenant, tu peux rentrer chez toi, j'ai pas l'intention d'être ta BA pour te donner bonne conscience dans ce monde de merde. Gaïa n'envisageait pas de sortir de la rue. Elle ne connaissait plus que ça et aussi con que ça puisse paraître, c'était rassurant. Mais la simple idée qu'elle s'en sorte et que des enfants crèvent, c'était impossible. Ils étaient deux à se relayer pour que les petits ne soient jamais seuls. Ces mômes, elle se voyait en eux. Des enfants abandonnés par le monde, qui allaient devoir se battre toute leur vie. Des orphelins en mal d'amour. Ouais, Gaïa elle avait un faible pour les causes perdues et les chiens errants.