kai Ω everything i wanted

Bury all your secrets in my skin, Ça n’a jamais été bien compliqué de comprendre que la seule et unique raison pour laquelle on l’avait mis au monde, avait été dans le but de sauver son frère. Pour quelle autre raison des personnes incapable d’amour voudrait un deuxième enfant quand le premier né, est un garçon à qui ils construiront des épaules assez larges pour endosser la responsabilité qui vient avec le nom d’un Talbot ? A s’en rendre malade pour concevoir ce premier enfant, cet héritier à la couronne bien trop lourde pour sa si petite tête. La déception et l’humiliation de se rendre compte que deux êtres aussi parfaits avaient enfanté un être aussi défaillant. L’héritier prodigue qui crèverait sans nul doute sans les dons précieux d’un petit frère. Un petit être aussi transparent qu’une seringue.  

C’est dans son ombre qu’il a grandi. Dans ses pas trop grand qu’il a marché sans jamais pouvoir égaler sa taille. Eclipsé derrière sa lumière, ses parents n’ont jamais su le voir. Dans le privé des écoles prestigieuses qu’il fréquentait, de sa classe, il avait beau être premier. Derrière l’immaculé perfection du parcours scolaire de son frère, il était cette tâche d’encre qui indiffère. Il se refugiait dans son monde qui était le sien. Portée par le rythme d’un instrument bien trop grand pour lui. Caché derrière son violoncelle, il pouvait être lui-même. Perfectionniste, jusqu’au bout des ongles. Des exigences élevées qui n’acceptaient aucune once d’échec. Il a compris très tôt que pour y complaire, il ne pouvait compter que sur lui-même pour se dépasser.

Pourtant, il n’a pas la liberté d’avoir tant de contrôle que ça dans sa vie. Ses parents ont toujours pris les décisions pour lui. Le choix de ses études, de sa carrière future. Les gens qu’il pouvait fréquenter et également le genre idéal qu’il devra marier. Kai est leur fils modèle, celui dont ils se vantent devant leurs amis même s’ils n’ont jamais su lui dire à quel point est-ce qu’il pouvait ou non les rendre fiers. Parce que ces mots, ils les ont usés sur son frère. Un frère qui a fini avec le temps par devenir leur plus grosse et grande déception.  Lui ressembler, être à la hauteur de sa splendeur, c’est ce qu’il a toujours désiré. Mais ces épaules qu’on lui a construites ne fut jamais assez large. Il avait quitté New-York City pour Washington DC. La même merde si vous vouliez son avis. Et à mesure que les années filaient, il le voyait son frère. Il le voyait chuté. Le voir choir de son piédestal aurait pu être un soulagement, une source de jubilation. Mais son frère, c’est sa moitié, c’est sa famille. L’unique et seule personne qui l’a toujours aimé. Le voir se bousiller dans le but de provoquer leurs parents, ça l’a torturé. Le voir se tuer pour se libérer, ça l’a tué. Achevés, tous autant qu’ils étaient. Du haut de ses dix-sept, soudainement, c'était lui, l'aîné...

Come away with innocence and leave me with my sins, Dix-sept ans. Et soudainement, tous ces regards, qui n’avaient sur lui fait que passer, s’arrêtaient pour s’attarder. Toute cette considération qu’il ignorait ne pas désirer. La pitié, la compassion, quelle différence ? Quand au fond, tous autant qu’ils sont ne répondent qu’à l’appât du gain. Sombres années où pour maintenir sa gueule hors de l'eau, il a cherché à contrôler de front la vague qui l'accablait. L’emportait vers les bas fond. Il a ressenti la mort dans ses os, il a creusé des fossés dans sa peau. L’âme au vent, il s’est déraciné de son enfer pour maintenir sa tête hors de l’eau. Cette tête trop petite, ces épaules trop étroites. La force de sa volonté, le contrôle de sa raison. Il s'est avéré qu'il n'avait seulement que le contrôle son assiette. Dans cette grande maison où il n’avait pas le droit d’être attristé. Torrents de larmes déversés aux obsèques. Le lendemain, ils étaient secs. La figure tranchée du spectre d’un sourire. Factice, comme tout le reste. La figure haute, la figure aristocrate. Comme si cette terre ne s’était pas ouverte pour avaler leur héritier. Qu’importe, il en restait un autre. On lui a offert un chien, Ludwig. On lui a trouvé un psy, Alfie. Peut-être bien, ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour lui tisser sur ses fines lèvres, à nouveau la naissance d’un sourire sincère. Il a bien fini par le comprendre qu’il n’avait seulement qu’à apprendre à bien les faire. Et mieux il réussissait, plus il s’amaigrissait.

Dix-huit ans. Il est mort. Le souffle coupé, le cœur figé. Mais sa vie ne s’est pas arrêté. L’heure n’était pas venue, son temps n’était pas écoulé. Entre quatre murs, interné. Il fallait qu’il mange. La cendre sur ses papilles, le feu dans le gosier. Par la force, alimenté. Et le cauchemar commençait. La déception, le déshonneur, il était tombé. Il fallait qu’il mange. Enfermé, ses ailes étaient tombées. Automate enivré de bonheur en cachet. Il fallait qu’il mange. Au pied du mur, au seuil du néant. Il a senti cette main se glisser dans la sienne, elle touchait la mort. Il fallait qu’il mange. Alors il a mangé, parce que son heure n’était pas arrivée. Et la saveur des choses a cessé de s’évaporer. Le temps du deuil était passé, il ne s’en sentait pas moins dévasté. L’agonie dans chacune de ses bouchées. Mais il a mâché, Kai, il a mastiqué. Et s’il a grimacé, s’il s’est écœuré. Cette douleur, il l’a avalée, s’est efforcé de la digérer.

Du regard, ils l’ont survolé. Déception qu’il représentait. Les regards baissés, face à cet unique fils qu’il leur restait. Ils l’ont accusé de se gaspiller, de se gâcher. Mais qu’importe, quand chaque seconde sur cette terre nous use de toute manière qu’un peu plus ? Pourquoi, comment, comme si les raisons et la manière avaient été ce qui importait. Comme s’il n’avait pas trébuché dans sa tombe et n’était pas remonté par la seule force de sa détermination et de son défaitisme. Comme s’il n’avait pas perdu pied parce que son frère lui, s’y était allongé dans ce mausolée. La fibre de leur palpitant effilé, défait. Fantôme de ce qu’ils étaient, de ce qu’ils n’ont jamais été. Carcasses dégorgées. Organes vidés. Ecervelés, alors comment est-ce qu’il pourrait comprendre ? Quand l’humanité leur fait défaut. Alors il a acquiescé, abdiqué ce combat qu’il ne pouvait pas gagner. Il prendra la voie de son frère tôt ou tard. Peut-être qu’il aurait été plus simple qu’il puisse partir. Mais il ne la supporte l’idée de les abandonner s’il doit les perdre. Ils sont bien tout ce qu’il lui reste. S’ils veulent qu’il la désir la lune pour dormir sur leurs deux oreilles, il les laisse croire que c’est le cas. Même si rien ne semble jamais à la hauteur de la grandeur qu’ils espèrent. Il n’a plus besoin qu’ils soient fiers. Seulement qu’ils cessent de le regarder comme une bombe à retardement. Sur ses cordes, il a tiré sa mélancolie. Composant ces cinq minutes où il s’accordera de penser à lui. Harvey. Cinq minutes des précieuses qui lui restent à présent qu’il a fait don d’autant à ses parents.

Deliver me into my fate, if I'm alone, I cannot hate.Le reste de ce temps, il allait vivre. Illuminé de son corps à corps avec la dame Faucheuse. La danse, c’est elle qui l’a mené. C’est elle qui l’a épargné. Ses prunelles n’avaient de fond, elles reflétaient tout ce qu’il avait jusqu’ici vécu. Elles projetaient tout ce qu’il avait encore à vivre. Ces inestimables moments qui ne feraient, eux aussi, que passer. Ephémère, comme tout le reste. La date de péremption sur l’étiquette. Comment lutter quand on n’en a pas la raison ? Il avait seulement l’objectif d’user chaque seconde du délai qu’on lui avait accordé. Ô si belle dame Faucheuse, indomptable aguicheuse. Elle touchait l’autre monde, celui dont elle lui refusait l’accès. Promesse au creux de son oreille que son Heure viendra. Lui qui n’avait vu le jour que pour l’autre. Pour ce frère qu’on lui avait missionné de préserver, de protéger. De sauver. Lui, qui avait échoué. L’heure de sa punition sera la même, la sienne. Vingt-six ans, six mois, douze jours et mille trois cent quarante deux minutes. Si peu et tant à la fois. Il fallait qu’il vive en serait-ce que pour profiter de ce qui lui restait de si précieux. Chaque minute compte, peut-être que c’est la raison pour laquelle il prend autant son temps pour les apprécier. Peut-être la raison pour laquelle, il est toujours pressé. Habillé d’un manteau de nonchalance, guidé par sa maladive curiosité, à la conquête de ce monde et de ses beautés. Pour ses parents, il a étudié. Pour lui, il a voyagé, il a joué, il s’est amusé. Comme jamais il ne l’avait osé. Et peut-être qu’il a abusé, peut-être qu’il continue à bien trop s’user. Mais qu’importe, il s’étiolera de toute façon, bientôt. Pour ses parents, il a été diplômé. Pour lui, parce qu’ils ne leurs a peut-être pas tant laissé le choix, ils ont accepté de lui céder cette dernière année. Peut-être qu’ils l’ignorent que c’est là, le plus beau cadeau qu’ils lui ont jamais fait. Pas la voiture, pas la maison, pas l’argent. Du temps. Précieuses minutes, inestimable secondes. Cette année, il poursuivra chaque grains de son sablier.