Spinning around •• Maeva

Certaines familles connaissent le bonheur dès l’annonce de la grossesse. Aussitôt, les parents irradient d’amour et préparent la venue de leur progéniture méticuleusement et avec grand soin. Pour d’autres en revanche, c’est beaucoup plus compliqué. La jeunesse des parents, bébé non voulu, les raisons sont diverses et variées et si certains accueillent tout de même leur enfant dans leur famille, d’autres choisissent des solutions plus radicales. La petite Maeva est née sous X et placée à l’adoption dès la naissance. De ce fait, elle n’a jamais eu le loisir – ni même le plaisir – de connaitre ses parents biologiques. Une blessure dans l’âme avant même qu’elle ne sache parler ou marcher. Toutes les premières étapes de sa vie d’enfant, c’est à l’orphelinat qu’elle les a passées. Ses premiers mots n’ont pas été maman ou papa. Ce ne sont pas ses parents que ses pleurs de bébé réveillaient en pleine nuit. Ce n’est pas avec des frères et sœurs qu’elle a grandi. Bébé déjà, elle était difficile. Ses pleurs étaient intarissables. Il était difficile de la calmer. Rien ne parvenait à l’apaiser. Chaque famille qui se présentait pour une potentielle adoption repartait sans accepter de la prendre dans leurs bras. Rien n’y faisait, personne ne voulait de ce bébé à la colère déjà exacerbée.

Il a fallu attendre quatre ans. Quatre longues années avant qu’un couple, émerveillé par sa chevelure brune et ses grands yeux noirs, ne souhaite l’adopter. Juan Espinosa, mexicain d’origine et sa femme Marie, une américaine, ont eu un coup de foudre pour cette enfant à la seconde où leurs prunelles se sont croisées. Les débuts étaient difficiles, Maeva n’était pas une enfant calme. Véritable tornade, elle était capable de retourner la maison et de piquer des colères monumentales. C’est avec une patience infinie et un amour grandissant de jour en jour qu’ils parvinrent à apaiser la fillette. Parce qu’au fond, de quoi avait besoin la petite Mae ? De l’amour d’un père et d’une mère. Chose que les Espinosa sont parvenus à lui apporter. Au fil du temps, elle s’est épanouie. Elle a grandi. Enfin entourée par des parents aimants. A l’école, elle se faisait des amis qu’elle pouvait inviter pour ses anniversaires. A Noël, elle trouvait avec joie des cadeaux sous le sapin. Juan, désireux de partager une part de sa culture avec sa fille adoptive, lui a même enseigné sa langue natale. C’était un petit plaisir père-fille de communiquer en espagnol pour rendre chèvre Marie qui ne maitrisait pas du tout la langue. Des instants de complicités de ce genre, ils en avaient des tas. La gamine s’est même passionnée pour le dessin, selon son institutrice à l’école, elle était douée pour ça. Sa voix également a toujours attiré l’attention. Depuis petite, elle a toujours eu du coffre. Une voix à faire exploser le cristal, comme s’amusaient à le répéter les employées de l’orphelinat. Il n’était pas rare d’entendre la petite chantonner chaque fois qu’elle avait un crayon en main et qu’elle laissait libre court à son imagination pour coucher les images qu’elle avait en tête sur une feuille blanche.

Jusqu’à l’âge de dix ans, Maeva a vécu un bonheur sans tâche avec ses parents adoptifs. Elle était même parvenue à les appeler respectivement Maman et Papa. Ils la considéraient comme leur fille et réciproquement. A l’école, elle avait de bonnes notes et elle était plutôt bonne élève. Marie l’avait même inscrite à des cours de chant pour qu’elle puisse se perfectionner. Cependant, rien n’est éternel. Tout a basculé en ce funeste jour du 20 décembre 2012. Certains superstitieux prévoyaient l’apocalypse à cause des prédictions du calendrier maya. La fin du monde a bien eu lieu, mais pour une personne en particulier. Il faisait froid ce jour-là. A tel point que Juan a allumé un feu dans la cheminée pour réchauffer la maison. Un moment en famille au coin du feu où chacun racontait des blagues ou des histoires effrayantes, notamment à cause de toute cette polémique autour de cette date. Maeva a avalé un nombre incalculables de chamallow grillés ce soir là. A la fin de la soirée, Marie est monté avec la fillette pour aller se coucher. Juan est resté au coin du feu pour terminer de lire un roman qu’il avait commencé. La fatigue arrivant, il s’est assoupi au bout d’une heure, oubliant de ce fait d’éteindre la cheminée. Les flammes crépitant, les bûches se sont effondrées et de la braise s’est échouée sur le tapis. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que l’incendie se propage et le père de famille, exténué, ne s’est rendu compte de rien. La fumée est rapidement devenue étouffante et les flammes ont progressivement dévoré toute la maison. Réveillée en sursaut, Marie s’est précipitée dans la chambre de sa fille pour la sortir de là. La gamine a rapidement paniqué et s’est réfugiée dans les bras de sa mère. Impossible de descendre au rez de chaussée. Suffoquant, avancer commençait à devenir compliqué. Une seule solution s’offrait à elle. La fenêtre en vue, Marie s’est dépêchée de l’ouvrir alors que le plafond s’effondrait au dessus de leur tête. En pleurs, Maeva refusait de sauter. La blonde s’est alors accroupie, a posé les mains sur les épaules de l’enfant pour lui promettre que tout se passerait bien, qu’elle serait toujours là pour veiller sur elle. Maitrisant ses sanglots du mieux qu’elle put, elle posa sa main sur le cœur de sa fille pour lui indiquer où elle pourrait toujours la trouver en cas de besoin. L’instant d’après, elle serra Mae dans ses bras et l’aida à sauter par la fenêtre. Ces derniers mots qu’elle a prononcés resteront à jamais gravés dans l’esprit de la jeune fille. Au sol, une douleur lancinante lui traversa la jambe, cassée dans la chute. Une douleur minime par rapport à celle que son âme ressentait en cet instant. Son cœur s’est déchiré ce jour-là. Une plaie béante s’est formée au creux de sa poitrine. Une blessure qui ne cicatrisera jamais.

Retour à la case départ. L’orphelinat et ses longs couloirs. L’orphelinat et tous ces gosses que personne ne veut. L’orphelinat et ce désarroi collé à chaque paroi de mur. De nouveau seule, Maeva s’est d’abord plongée dans un profond mutisme. Plus un son ne sortait de sa bouche. Une peine immense l’empêchait de parler. C’est dans le dessin qu’elle s’est réfugiée. Toujours le même. Des flammes immenses, démoniaques, effrayantes qui dévoraient une maison. Presque amorphe, c’est dans une bulle qu’elle se réfugiait. Isolée, elle refusait de se mêler aux autres enfants. C’est au bout de six mois qu’elle a commencé à s’ouvrir de nouveau au monde avec l’arrivée d’un gamin à l’orphelinat. Un petit gars comme elle, brun, le regard sombre avec un accent chantant. C’est en espagnol qu’elle s’est adressée à lui pour la première fois et c’est dans cette langue qu’ils ne cessaient de communiquer. Ils sont rapidement devenus amis, mais les services sociaux constatant que la gamine allait mieux ont décidé de la placer en famille d’accueil. Pensant qu’évoluer dans un cadre familial restreint l’aiderait, ils n’ont pas beaucoup hésité. Un déchirement, encore un, puisqu’elle n’a plus revu Rafael depuis ce jour. Autant dire qu’elle n’était pas enchantée d’aller vivre chez des inconnus. C’est en hurlant à plein poumons sur sa famille d’accueil qu’elle s’est rendu compte à quel point la colère était présente dans chaque cellule de son corps. Une rage immense contre l’orphelinat. Contre cette famille qu’elle ne connaissait pas. Contre cet incendie qui lui avait arraché ses parents adoptifs. Contre ses parents biologiques qui n’ont jamais voulu d’elle. Contre le monde entier. Contre tout et tout le monde. Chaque jour, sa colère s’exprimait. A travers ses mots, ses gestes ou ses dessins. Sa façon à elle d’extérioriser sa peine et sa détresse. La colère, la violence comme défouloir. Aucune famille ne parvenait à la supporter ou à la canaliser très longtemps alors elle n’a cessé de les enchainer. Encore et encore. Inlassablement. Chaque fois, c’était la même chose. La colère explosait, d’une manière ou d’une autre. Impossible de rester plus de trois mois dans une même famille.

A seize ans, elle s’envole avec sa famille d’accueil du moment à Washington suite à la mutation du père de famille. Un nouveau bouleversement mais au fond, elle apprécie de découvrir une nouvelle ville. Un moyen de repartir à zéro. En grandissant et avec cette période difficile qu’est l’adolescence, elle ne s’est pas énormément assagie. Elle se fiche du lycée, sèche à la moindre occasion. Elle préfère sortir pour découvrir la ville et tout ce qu’elle a à offrir. Curieuse, elle est avide de nouvelles expériences. Elle traine la nuit et ne rentre qu’au petit matin, au grand dam de ses tuteurs passagers. Incontrôlable, elle mène sa vie comme elle l’entend et elle tombe sans grande surprise dans une spirale infernale. Des mauvaises fréquentations qui la tirent vers le fond. Des dealers qui profitent de son visage juvénile pour écouler leur stock. Au départ, elle est partante parce que ça lui apporte de l’argent de poche. Qui se méfierait de ce visage d’ange ? Personne. Les clients sont étranges et certains sont même flippants mais elle ne baisse pas les bras. Un soir, capuche sur la tête, alors qu’elle rentre chez elle, elle croise l’un des toxicos à qui elle a déjà vendu quelques pilules. Il semble à cran. En manque littéralement. Ce soir, elle ne travaille pas. Elle n’a rien sur elle. Il insiste mais elle accélère le pas. Malheureusement, il ne la lâche pas d’une semelle. Elle se met à courir pour fuir mais il la rattrape et la saisit par le bras. Maeva se débat, le frappe au visage, lui assène des coups de pied. Agacé et visiblement désespéré, l’homme sort un couteau et enfonce brutalement sa lame dans l’abdomen de la jeune fille. Le métal froid dans sa chair, elle se fige, grimace et des larmes se mettent à perler sur le coin de ses yeux. Choqué par son propre geste, le junkie s’enfuit en la laissant plantée là, littéralement. Perdant toutes ses forces, ses jambes ne parviennent plus à soutenir son poids et elle s’effondre sur le sol. La douleur est atroce mais intérieurement, elle espère ne pas se relever. Ainsi, elle pourrait rejoindre ses parents là où ils se trouvent. Mais son heure n’est pas encore arrivée. Un passant qui promenait son chien a trouvé l’adolescente sur le trottoir et il n’a pas perdu de temps pour appeler les secours, lui sauvant la vie au passage.

Affirmer que sa vie s’est améliorée par la suite serait un mensonge. Cette attaque n’a fait qu’accroitre son mal-être, cette colère latente et cette sensation qu’elle n’a pas sa place dans ce monde. Elle n’est qu’une erreur de la nature, un bug dans la matrice. Personne n’a jamais voulu d’elle alors à quoi bon s’acharner pour faire plaisir aux autres ? Elle a progressivement abandonné l’école, vivant plus souvent dehors que chez sa famille d’accueil du moment. Maeva a ainsi appris à se débrouiller par ses propres moyens pour atteindre ses objectifs. Elle n’a jamais pu compter sur les autres alors à quoi bon ? Sans argent de poche ni revenus, c’est dans les poches des passants qu’elle se servait. Dans les supérettes de quartier, toutes les planques étaient bonnes pour voler de quoi subvenir à ses besoins. Des barres de chocolat dans les poches, des paquets de bonbons sous son t-shirt, des canettes dans son sac… Même ses chaussures sont devenues une bonne cachette. A 18 ans, elle a officiellement pris son « indépendance » en récupérant le peu d’affaire qu’elle possédait pour quitter définitivement la dernière famille d’accueil qui s’est occupée d’elle. A partir de ce moment, plus personne n’était sur son dos. Une sensation de liberté mais également de solitude extrême. Parce que sans argent, on n’a pas de toit sur la tête. Alors de temps en temps, elle squatte chez des potes ou des connaissances ou même chez de parfaits inconnus quand elle se la joue trop miséreuse. Certains ont pitié. Cependant, maintenant qu’elle est seule et livrée à elle-même, une question demeure dans son esprit. D’où vient-elle ? Qui sont ses parents biologiques ? Pourquoi n’ont-ils pas voulu d’elle ? Ces questions hantent tellement son esprit que sur un coup de tête, elle finit par se décider à retourner à son orphelinat dans sa ville natale, en faisant du stop. Ce n’est pas une mince affaire et elle rencontre quelques pépins en route mais elle arrive quand même à destination en un seul morceau. Dans l’établissement, les employés sont à la fois surpris mais contents de la revoir et d’avoir de ses nouvelles. Elle parvient à retrouver la femme qui s’est occupée d’elle étant petite et toutes les deux ont une longues discussion pendant laquelle Maeva lui raconte tout ce qu’elle a traversa, terminant son récit par une requête simple ; obtenir le nom de ses parents. Après quelques minutes d’hésitation, l’employée récupère le dossier de la jeune fille et lui fournit l’unique réponse dont elle dispose ; le nom de sa mère. Satisfaite mais perturbée à la fois, Mae reprend la route pour retourner à Washington. Là où elle vit désormais et comble de l’ironie, là où sa mère se trouve aussi. Sur le trajet du retour, deux mots tournent en boucle dans sa tête. Un nom et un prénom. Marnie Spellman.