Je pourrais m’adresser à ce journal en commençant, de façon classique par un “cher journal...” Cependant, je n’aime pas être dans les normes, et ce, malgré moi. Parce que si j’ai décidé de sortir ce vieux carnet que je me suis acheté avec mon premier argent de poche et qui croulait sous mon matériel de peinture, c’est parce que je ne tiens plus, je ne peux plus laisser toutes ses pensées s’entrechoquer dans ma tête. J’ai suffisamment pleuré des larmes stériles, je dois désormais savoir où je mets les pieds.
Je ne suis pas une fille.
Et je ne l’ai jamais été.
Sans jamais m’en rendre compte, j’ai toujours senti un inconfort avec celui d’être catégorisé de fille, sous prétexte que j’avais une vulve. Le premier jour de mes règles, a sonné que la mise à mort de ma liberté. Mon bourreau venait d’arriver, et n’allait avoir de cesse de chercher à me briser. Mais je n’avais pas encore les mots, pour catégoriser cette douleur que je ressentais à chaque fois que je voyais le sang couler, maintenant c’est cette même douleur qui permet à mon encre de couler. Je me suis réfugié dans l’écriture, puis l’art, et un peu tout qui pouvait me faire oublier tout cela, et supporter l’injonction à la féminité imposée par mes parents ainsi que la société. Quand ma mère me hurlait qu’il fallait que je cesse d’être un garçon manqué, je voyais presque ça comme un compliment, parce que c’est au final ce que j’ai toujours voulu être : un garçon.
Je l’ai réalisé réellement il y a quelques jours, lorsque j’ai pris mon courage à deux mains, et que j’ai été sur un chat d’une association trans, qui permet aux personnes en questionnement de venir parler en anonyme. J’ai parlé un moment avec cette personne, qui a su trouver les mots. Ils étaient doux, mais ils ont sonné violemment dans mon esprit, ont brisé mes espoirs de me sentir un jour normal, un jour bien dans mon corps, un jour heureux.
Car après tout, c’est ce que j’étais.
Un garçon.
Manqué.
Je ne sais même pas comment je fais pour écrire, certainement par la force du désespoir. Je ne sais même pas si mon écriture sera lisible, tellement elle est hideuse et tremblante. Mais je dois écrire ça, pour ne pas oublier.
Ne pas oublier ce rejet que je ne compte jamais pardonner.
Leur pardonner.
J’ai cherché à faire mon coming out à mes parents, en étant persuadés qu’ils allaient bien le prendre, car ce sont les premiers à ne pas accepter que d’autres parents mettent à la rue leurs enfants sous prétexte qu’ils ne sont pas hétéros. Mais non.
Je crois qu’ils se doutaient d’un truc, car ce n’est même pas moi qui leur ai dit, j’ai dû faire un coming out forcé. Ils ont purement et simplement fouillés mon ordinateur, pour tenter de comprendre ce qu’il se passait, le fait que j’ai coupé mes cheveux sans les tenir au courant, que je rejette tout ce qui se rapporte à la féminité.
“Arrête un peu tes conneries, tu ressembles à un mec comme ça.”
Voilà ce qu’ils m’ont dit un jour, avant que je parte au lycée. Ça avait été violent, bien plus que lorsque j’ai appris, il y a deux ans, qu’on allait devoir quitter l’Irlande pour l’Amérique, pour que maman puisse évoluer dans sa carrière et gagner un meilleur salaire.
Mais là, ils avaient dépassé les bornes, car ils m’attendaient à la sortie des cours, à table, avec mon ordinateur allumé face à eux, le regard dur. J’ai directement compris, en reconnaissant le fond bleu du site de chat de l’asso. Ils avaient carrément fouillé mon historique, car maintenant, je n’y allais plus, j’allais directement à l’association pour parler avec les gens, et également parce que ces personnes étaient devenues mes amis.
Tout y est passé.
“Ce n’est pas parce que t’aimes les filles que t’es un garçon, t’es juste lesbienne, arrête de faire ton intéressante, le monde ne tourne pas autour de toi.”
“Une mère sait quand elle va faire naître un garçon ou une fille, et toi, j’ai su depuis le début que tu étais une fille.”
“Ça te passera, c’est juste une phase.”
“Ce n’est pas parce que tu ne supportes pas la société patriarcale que tu dois te faire passer pour un garçon pour t’en sortir, tu dois juste accepter que ce soit la merde.”
“Tu sais que ça coûte cher de te faire greffer un pénis ? Surtout si c’est pour regretter ensuite”
“Tant que tu vivras sous notre toit, tu devras cesser ton caprice.”
Un caprice. Dit par des personnes qui n’ont jamais eu à subir une chose pareille. Mes parents m’ont écœuré, à jamais.
Je l’ai ai laissé déblatérer leur acharnement, et, en silence, j’ai été faire mon sac.
Avant de le vider à l’association, noyant mes mots dans mes larmes, doucement séchées par les membres, qui m’ont promis d’être la seule famille qui ne me lâchera jamais.
Rapidement, l’un d’eux a prit la décision de me prendre sous son aile et de m’héberger.
Je suis actuellement chez cette personne, pour une durée indéterminée, mais j’ai tendance à penser, que tout ceci est le début de tout, et qu’il n’y a plus de retour en arrière possible.
Et c’est tant mieux.
Wow. Il s’est passé bien des choses depuis que je n’ai pas ouvert ce journal. Je l’ai traîné de déménagement en déménagement, sans jamais le rouvrir, comme s’il ne m’était plus utile, mais comptait toujours pour moi. C’est étrange, de retomber sur le moi d’il y a cinq ans, qui avait été détruit par sa simple identité. Aujourd’hui, même si je ne vais toujours pas bien, au moins, je suis vivant. Ça n’a failli plus être le cas, il y a quelques semaines. Des messages de détresse, un placard à pharmacie vidé, et je me suis réveillé dans une salle blanche, stérile. Je ne savais pas si j’étais soulagé d’avoir survécu, ou si je me sentais encore plus minable de ne pas avoir réussi à cesser mon existence.
Cependant, aujourd’hui, quelque chose m’a prouvé que si j’étais resté en vie, par la force des choses, ce n’était pas pour rien. En me promenant un peu partout dans la ville, je suis tombé sur un sac-poubelle, gesticulant. Forcément, ce n’était pas normal. Je l’ai ouvert, et j’ai eu la surprise de tomber sur sept chiots nouveaux nés. Deux n’avaient malheureusement pas survécu au froid. J’avais décidé de me concentrer sur les vivants, et de les emmener en urgence chez moi. Mon intérêt spécifique pour les chiens m’a permis de savoir quoi faire pour les sauver, au moins jusqu’à ce que la clinique vétérinaire ouvre demain. Actuellement, j’écris, assis en tailleur face à eux, pendant qu’ils dorment entourés de plaids doux, et d’une bouillotte. Je n’ai pas pour habitude de mettre le chauffage, mais là, je n’ai pas eu le choix pour eux. J’avais également du lait en poudre, que j’avais acheté un jour, pour nourrir un jeune rat qu’une amie avait retrouvé dans son compost.
Ils sont installés dans ma chambre, pour que je puisse être là rapidement pour eux, les entendre en cas de problème et autre. La nuit va être longue, mais je sais, au plus profond de moi, qu’en plus de me tenir éveillé, ils allaient surtout me tenir en vie.
Moi qui ne me sentais pas d’assumer tout de suite un chien, me voilà, par la force des choses, adorablement contrait d’en garder un de la portée. Seulement quatre sur les cinq ont trouvé une famille, et pour le dernier, je sentais que je n’avais pas envie de faire plus d’effort, que je voulais qu’il reste avec moi. Lumos, ma beauté noire mangeuse de mur. Pas étonnant que personne n’ait voulu de lui. Après tout, c’était un weirdo, un incompris, un marginal. Et comme on dit, qui se ressemble s’assemble.
15 Mars 2021
Lumos a bien grandi, et mon élévation a suivi sa croissance. Il m’a donné la force d’aller de l’avant. Grâce à lui, mon appartement ne ressemble plus à rien - même si c’est en majeure partie grâce au fait qu’il soit destructeur et que je ne puisse rien laisser traîner. Également, j’ai commencé à voir une psychiatre, qui accepte de me recevoir avec Lumos, car sans lui, je ne m’en sors pas. Mais avant tout, j’ai réussi à avoir le courage de quitter mon travail à l’usine pour me lancer dans une formation de comportementaliste canin. J’ai déjà fait formation comportementaliste lapin, mais j’avais envie de comprendre Lumos, puis tous les autres chiens, et réussir à aider les humains de chien à avoir une meilleure relation avec leur canidé. Encore une fois, ça ne va toujours pas, et je pense que ça n’ira jamais, mais j’ai désormais une certaine stabilité dans ma vie, qui est non négligeable.
La question que je n’ose pas exprimer à voix haute est pourtant :
Jusqu'à quand ?